Penseur

mercredi, octobre 04, 2006

La fuite des cerveaux : mythe ou réalité ?

C’est sous ce titre que Jean François-Poncet publiait, en 2000, ce rapport d’information pour la commission économique du Sénat. Il y souligne plusieurs traits majeurs de l’expatriation des Français qualifiés, la fameuse « fuite des cerveaux » : l’accélération de ce flux, et la tendance à l’expatriation à devenir définitive. Il analyse les conséquences négatives que ce mouvement a pour la France, en cherche les causes, et propose quelques solutions.

On peut distinguer, et le rapport ne le fait peut-être pas assez, deux types de populations concernées par ce phénomène, qui ont des motivations bien distinctes : les étudiants ou chercheurs, et les entrepreneurs.

Les étudiants et les chercheurs partent pour diversifier leur expérience : ce sont des périodes très enrichissantes au plan personnel, et bien maîtriser une langue étrangère et être capable de s’adapter quelques mois ou quelques années à une culture différentes sont des atouts importants sur le CV. Les universités étrangères sont souvent bien plus connues (voir aussi ici, moins controversé) dans le monde que les françaises, cela joue beaucoup. L’environnement de la recherche est aussi souvent perçu comme plus ouvert qu’en France. J’en parlais dans ma note précédente : là où les unités de recherche en France sont souvent assez cloisonnées, les départements, aux Etats-Unis, sont très multidisciplinaires, ce qui tend à stimuler la créativité. Je ne sais pas, par contre, quelle est la situation dans d’autres pays. Enfin, les perspectives de carrière sont beaucoup plus intéressantes à l’étranger pour les jeunes chercheurs. En France, la thèse n’est pas valorisée en entreprise : les thésards sont vus comme trop spécialisés, incapables de s’adapter au monde réel, destinés à être profs ou chercheurs. Même pour les diplômés d’une école d’ingénieurs, il n’est conseillé de faire de la recherche que pour aller en R&D. Les choses changent, certes, mais la différence est frappante avec les Etats-Unis. Les titulaires d’un PhD ont les meilleurs postes en entreprise, les meilleurs salaires. Ils ont le statut social des diplômés d’écoles d’ingénieurs. Leur travail de recherche (à peu près identique à celui d’une thèse française) est reconnu comme la capacité à approfondir un sujet, à conduire un projet, comme une marque d’expertise. Rien à voir avec la caricature française infamante dont on peut trouver un exemple ici. Une meilleure image de la thèse peut-être vue sur l’intéressant blog Carnet de Thèse. Les post-doc, là encore, sont plus valorisés socialement aux USA, où ils font tourner les labos et ont de vrais moyens, qu’en France, où ils sont vus comme des étudiants attardés. Je ne donnerai pas de chiffres, de salaires moyens, tant ces comparaisons sont inutiles : le coût de la vie n’est pas du tout le même dans les différents pays. Mais en termes de statut social, de reconnaissance, d’accomplissement personnel, il n’y a pas photo : les thésards ont tout intérêt à s’expatrier.

Pour ce qui est des entrepreneurs, il ne semble pas que le climat soit propice à la création d’entreprises en France. Est-ce seulement le climat, le « déclinisme », qui fait que l’air semble plus vivifiant ailleurs ? Peut-être, peut-être pas. Le rapport François-Poncet donne quelques éléments de réponse. Il fallait 15 formalités administratives pour créer son entreprise en France, contre 8 en Allemagne. Il n’y a pas de capital minimum pour créer une SARL au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, contre 50 000 francs, à l’époque, en France. Les choses ont l’air de s’être améliorées, puisqu’on trouve un certain nombre d’informations et de formulaires en ligne, sur différents sites comme celui-ci ou celui-la. Enfin, toujours est-il que créer son entreprise semble difficile en France (67% des Français le pense, contre 30% des Finlandais), mais il est difficile de quantifier l’impact que cela peut avoir sur l’expatriation.

D’autres arguments sont avancés : le haut niveau de taxes, le manque de flexibilité du marché du travail, l’impossibilité d’utiliser trop librement les stock-options pour fidéliser ses collaborateurs. Ces arguments attendus de la part d’un sénateur UMP sont écartés par un Entrepreneur de Gauche, qui, lui, pose le problème des banquiers trop frileux. Les capitals-risqueurs ne sont pas très présents en France. Ava relève ici (et là six mois après) que l’investissement dans les petites entreprises technologiques s’élève à 23 Md$ par an aux USA, 1 Md$ en Israël, et 600 millions de dollars en France. Le résultat est là : d’après le rapport du Sénat, en 1989, le nombre total de créations d'entreprises s'élevait en effet à 310.000, dix ans après elles ne sont plus que 269.000.

Je ne sais pas quelle pourrait être la solution à une telle situation. Elle ne passe certainement pas par l’Etat, j’imagine mal un capital-risqueur étatique avoir autant de moyens, et de flair, qu’un bon business angel. Mais comment changer la psychologie des banquiers, voire des Français en général ? La tâche semble d’autant plus ardue que Sarkozy qui, par son orientation politique, devrait être le champion de la création d’entreprise, se désintéresse de la recherche et de l’innovation.



7 commentaires:

Anonyme a dit…

Et oui, le probleme est dans la tête comme souvent : l'aversion au risque des entrepreneurs et des banquiers, mais il ne faut pas non plus ignorer le fait que certains thésards qui ont de l'or au bout des doigts devraient lancer une entreprise au lieu de faire maitre de conf. Thomas Hewlett et David Packard, Jerry Yang et David Filo, Larry Page et Sergei Brin sont tous des doctorants qui ont arreté leur these pour lancer une entreprise, et je peux te dire pour en avoir rencontré 3 des 6 que beaucoup de thésards français sont bien plus intelligents... mais moins malins !

Si tu connais des thésards qui ont des vrais projets d'entreprise, tu sais ou me contacter ;-)

Matthieu a dit…

J'aurais tout de même une excuse pour les thésards ou chercheurs qui n'osent pas, ou ne pensent pas, à essayer de se lancer dans le grand bain. Le discours général, dans les écoles d'ingénieur, dans les universités, ne mentionne presque pas le fait de lancer son projet. Aux USA, le nombre de prix du genre "le meilleur business-plan, ou prototype, recoit X k$ pour créer une boîte" sont légion. J'en parlais justement il y a une heure avec des amis : ou sont les ESA, Saint-Gobain, Arkéma, Pinault, Arnoult ou Dassault, pour faire de même ? Et même sans ça, les directeurs d'Ecole ou d'Université ont parfaitement les moyens de parler de start-up dans leurs discours, de proposer des séminaires de sensibilisation, ou de faire venir des intervenants pour parler de leur expérience.

Les jeunes sont influencés par le discours ambiant, on ne peut pas (trop) le leur reprocher. Si ce discours sent le renfermé, il ne faut pas encore une fois le reprocher à l'Etat (ce n'est pas ce que tu fais, mais d'autres le feront).

Matthieu a dit…

"Tu sais comment me contacter"

Non, justement. Je ne trouve pas d'adresse email. Peut-etre pourrais-tu m'écrire sur mrlemarquis à gmail.com ? j'aimerais discuter un peu plus avec toi de ce sujet

Anonyme a dit…

Bravo pour cet article. J'ai lu aussi le rapport de Poncet qui est intéressant mais qui hélas est très vieux (7 nas maintenant). Or, j'ai reçu il y a quelques jours mon Time hebdomadaire qui titre sur la débandade des français qui fuient leur pays (l'exode français: voir http://www.time.com/time/magazine/article/0,9171,1606909,00.html ). Que doit-on en penser ? Info ou intox ? C'est dans la tête ou y-a-t-il du vrai ?

Matthieu a dit…

Hamid Senni, c'est LE gars issu-de-l'immigration en-but-aux-prejuges-en-France qui-a-reussit-a-l'etranger que j'ai deja vu dans au moins 2, peut-etre trois reportages sur le sujet. Je commence a avoir un gros doute sur sa representativité. Quant au Times, il aime bien ecrire ce genre de chose sur la France

zelectron a dit…

Les aerogels "dur" tu connait?
mon mail yves.spale sur gmail

Matthieu a dit…

Yves,

parles-tu de ce billet sur les aerogels ?