Penseur

dimanche, octobre 01, 2006

Recherche médicale et interdisciplinarité

EDIT : Des copié-collés hasardeux ont conduit à la disparition d'un paragraphe dans la version originale du billet, qui perdait un peu de sa cohérence. C'est maintenant réparé.

Avec le vieillissement régulier de la population des pays occidentaux, les soins médicaux prennent une part de plus en plus importante dans l’économie. A l’accroissement du besoin en soins médicaux, qui augmente avec la proportion de personnes âgées, s’ajoute le mythe, de plus en plus présent, de l’Homme rendu immortel par les progrès de la médecine. L’Homme réparable est un fantasme qui suscite encore plus d’envie de médicalisation : il est insupportable de boiter, d’avoir des rhumatismes. Ce n’est pas une critique : moi-même, j’ai souvent mal au dos, et je déteste ça. Si je connaissais un traitement adapté, et si je voyais d’autres personnes en bénéficier, je mettrai probablement la main à la poche pour supprimer la douleur. Cependant, peut-être cela serait-il au-dessus de mes moyens. Par contre, comme il se trouve les économies ont tendances à s’accumuler avec le temps, les personnes âgées combinent le désir, le besoin et la possibilité d’utiliser des soins couteux. Voilà pourquoi les dépenses de santé, qui représentaient en 2000, en France, 100 milliards d’euros, soit 6,8% du PIB, devraient voir leur part grimper à 8ou 9% du PIB à l’horizon 2010.

La recherche dans ce domaine est promise à un bel avenir. En effet, dans cet univers très concurrentiel, et sur un marché aussi important, la moindre avancée décisive prend une importance capitale. La firme qui met sur le marché un produit un peu meilleur que ses concurrents va immédiatement s’arroger des parts de marché énormes, pour plusieurs raisons. Le surcoût d’un produit plus efficace n’est souvent pas vu par le médecin ou son patient, grâce aux organismes d’assurance médicale. Les coûts non-financiers, comme la lourdeur d’un traitement, il n’est pas non plus un obstacle, car qui ne ferait pas un petit effort pour sa santé ?

Ce raisonnement est illustré par une anecdote impressionnante, que je n’ai pas pu vérifier. Une entreprise a développé une nouvelle protéine destinée à attirer un peu mieux que ses concurrentes les cellules osseuses à la surface des implants (détails), par exemple des implants de hanche. Le jour de la mise sur le marché, l’entreprise a vendu pour un million de dollars de ce produit. Les disciplines connectées au monde médical, chimie, et surtout biologie et bioengineering, font partie des voies les plus prometteuses, en terme de débouchés, pour un étudiant.

La recherche médicale est particulièrement attractive, pour plusieurs raisons.

  • Mauvaises langues, je vous vois venir : oui, une des raisons est directement liée au paragraphe précédent, ça rapporte. Les firmes du secteur, incluant les firmes pharmaceutiques, mettent d'énormes moyens dans la recherche en interne. Mais pas seulement : les graduate dans le domaine n'ont aucun mal à trouver des financements. Je ne connais pas la situation des thésards français dans ce domaine, mais peut-être un visiteur éclairé pourra nous donner l'information.
  • Ensuite, il y a le côté humanitaire : pouvoir regarder les chercheurs des autres disciplines, les ingénieurs, et les économistes réunis, dans les yeux, et leur dire « Moi, je sauve des vies », cela n’a pas de prix. On se place d’emblée au côté des infirmières de la Croix-Rouge Internationale et des sauveteuses d’Alerte à Malibu. On se sent grand, beau, et fort. Mais pourquoi n’ais-je pas choisi cette voie ?
  • Enfin, les sujets de recherche sont intéressants, car interdisciplinaires. Etudier une cellule, c’est de la biologie. Comprendre les réactions qui interviennent quand une protéine se lie à un de ses récepteurs, c’est de la chimie. Mesurer la force avec laquelle elle s’accroche à la matrice extra-cellulaire, c’est de la mécanique. Si la cellule est labile, on arrive vite à l’hydrodynamique. S’il faut utiliser un piège optique à laser, ou un piège magnétique, la physique fait son entrée. Et pour traiter toutes ces informations, il faut souvent en passer par l’informatique. Je pense que chacun se rend compte à quel point ce genre de recherche interdisciplinaire est stimulant intellectuellement.

Dans ce contexte, la différence d’organisation des systèmes de recherche universitaire aux USA et en France saute aux yeux. Les départements américains sont interdisciplinaires, et organisés par thèmes de recherche : bio-engineering, chemical engineering (qui n’a rien à voire avec la chimie, by the way), micro and nano technology, polymer science, health and medical devices engineering, etc… En France, ils sont organisés par matières : chimie, biologie, physique, mécanique. Les barrières sont rigides, et la communication passe mal. Que d’interactions pourrait-on développer avec des programmes plus interdisciplinaires ! Les chimistes ont tout intérêt à écouter les physiciens, qui devraient parler aux mathématiciens, qui pourraient trouver leur inspiration dans les travaux des biologues, qui ont tout à apprendre des chimistes… Dans les universités américaines, cette position est revendiquée, assumée, et produit d’excellents résultats. En France, l’exception qui confirme la règle est l’ESPCI (en fait, cette école est une exception à presque toutes les règles de l’enseignement supérieur français).

Qu’en pensez-vous ? Avez-vous une opinion différente, des contre-exemples ?

Aucun commentaire: