Penseur

dimanche, juillet 29, 2007

Des chasseurs de primes scientifiques ?

Le rythme peu soutenu du blog ces derniers temps etait un indice. Entre la douce torpeur de la chaleur de l'ete et quelques vacances, le blog est en semi-pause en ce moment.
En attendant, je vous propose de jeter un oeil sur Innocentive (decouvert via le blog de Francis Pisani). Sur ce site, des entreprises peuvent proposer des "challenges", qui sont des problemes industriels ou scientifiques pour lesquels ils demandent l'aide des "solvers". Les problemes sont generalement dans le domaine de la chimie, des sciences de la vie ou des sciences des materiaux, mais il y a aussi un peu de mathematiques, de physique, ou du design technologique.
Les recompenses pour les problemes resolus vont de 10 000$ a 100 000$. Pour les entreprises, les benefices sont une externalisation de certains problemes de R&D sur lesquelles elles n'ont pas l'envie ou les moyens de faire plancher leurs equipes - et elles ne paient que si le probleme est resolu.
Qu'en pensez-vous ? Pensez-vous qu'un tel modele economique puisse se developper au dela de l'intuition occasionelle ? Pourrait-on voir apparaitre des chercheurs "chasseurs de primes" ?

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mardi, juillet 17, 2007

Des virus qui soignent

Je n'ai pas eu vraiment le temps de bloguer, récemment, mais ce billet me trottait dans la tête depuis un moment. Depuis, en fait, que j'ai entendu parler de la publication de Timothy Lu et James Collins (PNAS, 3 juillet) sur le design de virus conçu pour dissoudre les "biofilms". Les biofilms sont des couches gélifiées de polysaccharides et de protéines, secrétés par des bactéries pour leur protection. Ils permettent aux bactéries de résister à la plupart des traitements chimiques, et de s'installer dans les recoints difficiles d'accès des appareils médicaux ou de manipulation de nourriture, ce qui peut conduire à des infections. L'article en question décrit une belle application de la biologie synthétique, dans laquelle les bioingénieurs ont ajouté une enzyme capable de dissoudre le biofilm.

Mais si je voulais écrire sur ce sujet, c'est parce qu'il m'a rappelé une autre histoire qui ne cesse de m'intriguer.

Les infections de bactéries peuvent avoir des conséquences terribles. Dans la première moitié du XXème siècle, deux techniques médicales pour les combattre furent découvertes : les antibiotiques et les bactériophages. Les antibiotiques sont des molécules ayant la capacité de lutter contre les infections microbiennes, soit en tuant les bactéries, soit en ralentissant leur développement. Ces produits chimiques peuvent être plus ou moins spécifiques, c'est-à-dire agir sur un nombre plus ou moins grand de types différents de bactéries, mais sont sans effet sur les autres êtres vivants. Le premier d'entre eux à connaître la gloire scientifique, la péniciline, fut découvert par Fleming en 1928. Les phages, eux, sont des virus, la forme la plus simple d'êtres vivants. Parmi eux, les bactériophages s'attaquent aux bactéries uniquement, et ce, de façon spécifique. Ils ont été découvert par Félix d'Herelle en 1917, et le Géorgien Georges Eliava a fondé un institut de recherche sur le sujet dans son pays.

Les deux techniques ont connu des destins très différents. A première vue, les antibiotiques étaient plus interessants. Les progrès de la chimie fine, à cette époque, rendaient possible la synthèse en grande quantité. Ils étaient aussi plus facile à transporter, à stocker, et à administrer. D'un autre côté, les phages étaient plus risqués (après tout, ce sont des virus...), moins bien compris (la biologie n'était pas aussi avancée), plus difficiles d'emploi. La majorité des recherches se sont donc concentrées sur les antibiotiques.

Durant la guerre, les deux techniques furent utilisées pour prévenir la septicémie chez les soldats blessés. Alors que les occidentaux developpaient les antibiotiques, les soviétiques gagnaient de l'expérience avec les bactériophages. La coupure a continué après la guerre : la littérature sur les phages étant essentiellement en Russe ou en Géorgien, cela ne facilitait pas la diffusion des connaissances.

Aujourd'hui, cette technique commence à être redécouverte, par le biais de récits miraculeux dont le sceptique endurci se méfie instinctivement. Quelles sont ces histoires de patients atteints de maladies nosocomiales, contaminés par les pires souches de staphylocoques dorés multirésistants, qui vont trouver leur rémission dans un obscur hôpital géorgien délabré ? Serait-ce encore une lubie parascientifique ? Non, c'est un exemple très sérieux de cas où le développement scientifique a été gêné par les contraintes politiques, les barrières de langue, les intérêts économiques.

En un demi-siècle, les antibiotiques ont un peu perdu de leur superbe : dans une démonstration parfaite des lois de l'évolution par sélection naturelle, les bactéries ont appris à survir aux doses de plus en plus massives de cocktails chimiques qui leur étaient servis. Tout simplement parce qu'une simple mutation, changeant par exemple une protéine à leur surface, peut les rendre insensibles aux antibiotiques. Ensuite, l'Homme facilite le développement de ces mutantes, en éliminant la souche originelle. Et c'est ainsi que les maladies nosocomiales apparaissent...

Les phages, eux, sont capables de lutter dans cette course aux armements. Tout simplement car ils mutent, eux aussi, et ils mutent plus vite que les bactéries grâce à leur plus petite taille. Ainsi, si une bactérie mutante présente à sa surface une molécule différente de ses voisines, il se trouvera bien un phage mutant pour avoir le recepteur qui lui correspond.

La médecine redécouvre donc les phages avec intérêt. Les problèmes qui existaient n'ont pas disparu : les phages sont ultra-spécifiques (ils ne s'attaque qu'à une bactérie voire qu'à une souche de bactéries), sont difficiles à stocker et à administrer. De plus, puisque ce sont des êtres vivants, ils sont difficilement brevetables, ce qui risque de limiter les investissements. Voilà qui nous rappelle une discussion précédente, n'est-ce pas ? Mais malgré tout, les choses avancent. La Food and Drug Administration a approuvé l'emploi de phages en spray sur la nourriture pour lutter contre la Listeria, et les tests cliniques en phase 2 ont commencé à Londres pour un usage sur l'Homme, contre l'otite.

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jeudi, juillet 05, 2007

Le shampoing sauteur : de la belle science sur Youtube

Michel Versluis et ses collègues de l'université de Twente, aux Pays-Bas, ont fait très fort. D'un, ils ont résolu un mystère de la mécanique des fluides qui durait depuis une quarantaine d'année, l'effet Kaye, aussi appelé "shampoing sauteur" (leaping shampoo, en VO). Leur article, par ailleurs très bien écrit, a été publié dans Nature en avril 2006. De deux, ils ont monté un film à partir de leurs plus belles vidéos, ont ajouté quelques explications, et l'ont mis en ligne sur Youtube. La vidéo a été vue 280 000 fois, et c'est mérité. (Pour le sauteur à ski de l'image, lisez la suite pour comprendre !)



Je ne sais pas si les explications de la vidéo sont suffisantes pour comprendre ce qui se passe. Voilà la façon dont je l'expliquerais :

Habituellement, lorsque l'on verse un liquide visqueux depuis une certaine hauteur, son point de chute décrit des cercles qui s'empilent les uns sur les autres jusqu'à former un petit tas, qui s'écoule plus ou moins lentement. Tout ceux qui mangent des tartines au miel le matin en ont déjà fait l'expérience. La situation avec le shampoing est presque la même : lui aussi forme un petit tas, qui s'accumule à cause de la viscosité élevée. Seulement, quand ce tas s'effondre, cela ne provoque pas seulement une perturbation passagère comme dans le cas du miel. Non, car le shampoing est un fluide "rhéofluidifiant" (shear-thinning en anglais dans la vidéo), pour lequel la viscosité peut être divisée par 100 ou 1000 lorsqu'on lui applique une contrainte mécanique. Par exemple, c'est pour cela qu'il s'écoule bien plus facilement de sa bouteille quand vous la pressez.

Le tas de shampoing, donc, s'écroule sous son propre poids. La couche de sahmpoing qui supporte cet effondrement subit un cisaillement important, et voit sa viscosité diminuer énormément. Elle agit dès lors comme une couche de lubrifiant, sur lequel le jet glisse. Et, un peu comme un sauteur à ski s'envole en sortie du tremplin, le jet tourne sur ce lubrifiant et est renvoyé vers le haut. En quelques millisecondes, il creuse de plus en plus ce tremplin, lui donnant une forme de "cuillère", redressant ainsi le jet presque à la verticale, jusqu'à perturber le jet descendant, ce qui met fin au phénomène. Le tout durant une fraction de seconde, avec des jets de plusieurs centimètres de long et de haut.

PS : une autre vidéo, plus artistique, sur un autre curieux phénomène physique, les ferrofluides. Et toujours cette piscine remplie de fluide viscoélastique (solution d'amidon de maïs), dont j'avais parlé ici, ainsi qu'une autre jolie expérience sur le même liquide (725 000 vues, tout de même).

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dimanche, juillet 01, 2007

Actualité scientifique - 4

Je continue ma série "Je tombe sur des choses intéressantes mais je n'ai pas grand chose à en dire".
  • Vous vous souvenez de la cuisine moléculaire ? Et bien maintenant, c'est à vous de jouer ! Le site marmiton.org propose un dossier sur le sujet. En plus d'une interview d'Hervé This, il comprend des recettes vidéos, pour appliquer des principes de chimie et de physique rigoureux, en dignes héritiers de Pierre-Gilles de Gennes, pour faire du caviar à la menthe ou de la chantilly au poivron.

  • L'annonce a fait grand bruit, mais j'ai du mal à y voir autre chose qu'un coup médiatique (ce n'est pas comme si Craig Venter n'en avait pas l'habitude). Une équipe du J. Craig Venter Institute a réussi à transplanter le génome d'une bactérie dans une autre. Au cours des divisions cellulaires suivantes, le nouveau génome a soit pris le dessus sur l'ancien génome, soit les deux génomes se sont séparés en deux nouvelles lignées, mais en tout cas, le génome transplanté a donné lieu à une lignée vivante de bactéries. Techniquement, je ne comprends pas ou est l'exploit, il me semble que c'est encore plus facile que les techniques de clonage maintenant bien maîtrisées : les cellules animales sont eukaryotes, et doivent être énuclées avant le clonage, ce qui n'est pas le cas pour ces bactéries prokaryotes. Je pense tout simplement que cet institut a un très bon service de presse (ce qui ne surprendra personne).

    Pourquoi est-ce que j'en parle, alors ? Car cette étape s'inscrit dans un projet ambitieux de biologie synthétique (Dvanw en avait parlé ici, et moi ), visant à produire le premier organisme vivant synthétique, dont le génome serait un assemblage des 300 ou 400 gènes de bases indispensables à la vie. Un tel accomplissement apporterait des indications précieuses sur la formation des premiers être vivants, voir sur la définition même de ce qu'est la vie. Une des applications mises en avant par Venter est d'ajouter ensuite des gènes permettant de créer des bactéries consommant le dioxyde de carbone atmosphérique, et rejetant du méthane (qui pourrait servir de combustible). L'idée est belle, mais les articles dans le New York Times ne doivent pas faire oublier qu'on en est encore loin...

  • LE truc à la mode en physique, ce n'est pas les superconducteurs (has-been), les supercordes (pipeau) ou les nouvelles particules (un truc de geek), non, c'est le graphène. Le graphène est un état du carbone récemment découvert (enfin, créé), qui s'ajoute à, entre autres, le diamant, le graphite, le noir de fumée, etc... Il s'agit en fait d'une feuille de carbone d'un atome d'épaisseur - une autre manière de voir les choses est de dire qu'il s'agit d'un feuillet unique de graphite, une pointe de crayon lambda se composant d'un grand nombre de ces feuillets, empilés. Le graphène pose de splendides questions théoriques, par exemple on pensait qu'un tel cristal bidimensionnel ne pouvait pas exister, et ouvre de non moins appétissantes perspectives d'applications, comme dans l'électronique. Et les prises de vues au microscope électronique sont de toute beauté ! De quoi occuper quelques générations de thésards...
  • Pour finir, une niouze intéressante, chez Techno-Sciences : on utilisait déjà des polymères et les surfactants (bizarrement appelés agents de surface dans l'article, ce doit être une traduction directe de l'anglais "surface agents") pour réduire la traînée des bateaux et sous-marins, voilà que s'y ajoutent les circuits de refroidissement. En effet, ces molécules tendent à rendre le flot laminaire, c'est-à-dire régulier, plutôt que chaotique et turbulent, et diminuent ainsi les frottements et la perte d'énergie. Et l'économie d'énergie sur le fonctionnement de la pompe n'est pas négligeable ! Voilà un système simple, généralisable à faible coût à un grand nombre de circuits fermés, qui pourrait faire faire de grosses économies.

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