Penseur

mardi, janvier 16, 2007

Débat éternel

Après un weekend fort agréable, mais allongé contre ma volonté par les caprices de la météo, je découvre cet article du Monde, sur la valorisation de la recherche en France, ce commentaire du Benjamin du Bacterioblog (et des commentaires très intéressants), cette réponse (et quelques chiffres) de l’association Sauvons la Recherche, et, au hasard d’une recherche google, ce rapport du Sénat de mai 2006. Lectures instructives…

L’article initial du Monde (écrit par Annie Kahn, comme souvent sur ce sujet) parle d’un rapport, que l’on aimerait public, sur l’état de la valorisation de la recherche en France. Les axes étudiés sont, à mon avis, essentiels pour la bonne santé de la recherche : les partenariats public-privé, les brevets, et la création de startups technologiques. Le constat est très mauvais sur le premier point (le volume total des contrats mixtes est légèrement décroissant, et est surtout très concentré sur quelques organismes comme le CEA), mitigé pour le deuxième (les dépôts de brevet augmentent, mais ne sont pas toujours rentables, surtout pour les universités), et réservé pour le troisième (les startups existent mais ont du mal à se développer). Le dernier point est que les entreprises françaises ont toujours autant de réticences à engager des jeunes docteurs, plutôt que des jeunes ingénieurs.

D’après mon expérience personnelle, j’aurais tendance à souscrire complètement à ce point de vue. D’ailleurs, j’avais déjà parlé de ces sujets à quelques reprises : la méfiance réciproque des labos publics et des entreprises, qui se traduit par exemple dans le manque de soutien au dépôt de brevets, est à mon avis bien plus dommageable que le pourcentage du PIB dédié à la recherche publique. C’est pourquoi je pense que Benjamin se trompe de cible : je ne crois pas que le rapport dénonce des aides à la valorisation qui seraient détournées pour « développer la recherche fondamentale » ou qu’il se livre à « la désignation facile de boucs émissaires ». Il est question de mesures coûteuses inutiles voire contre-productives, et de pointer du doigt des dysfonctionnements : il ne faudrait pas faire dire au rapport ce qu'il ne dit pas.

Benjamin l'écrit lui-même : les organisations qui fonctionnent bien ont une « philosophie de la valorisation » : le problème est donc bien que les autres organismes, CNRS et universités en tête, ne l’ont pas. Les budgets publics limités ne sont pas la cause du faible pourcentage de la recherche privée « externalisée » dans le financement de thésards CIFRE, ni à la timidité desdits thésards à se lancer dans l’aventure « startup », ni au peu de brevets déposés par les labos publics. D’ailleurs, le pourcentage de PIB investit par la France dans la recherche est loin d’être ridicule (chiffres 2004) par rapport aux autres pays de taille comparable, même si l’évolution est négative. Ce qui manque, c’est la rentabilité.

En fait, pour nuancer mon propos, il y a bien un domaine où les financements publics sont vraiment trop faibles, c’est la biologie. Le secteur d’avenir de la recherche mondiale est le parent pauvre en France. Et comme Benjamin fait de la biologie, je comprends son point de vue, mais j’essaie ici de généraliser.

Pour améliorer la situation des labos français, il serait bon qu'ils essaient de trouver des partenariats avec des entreprises, qu’ils pensent aux applications (il n'y a rien de honteux à cela) et déposent des brevets, et de façon générale qu’ils arrêtent un peu d’avoir en tête le schéma ridicule selon lequel l’argent du privé ne peut être destiné qu’à de la recherche à court terme. De leurs côtés les entreprises doivent voir que les compétences des docteurs leur seraient bien utiles, et pas seulement en Recherche et Développement, et que la recherche à long terme peut être aussi être faite dans les labos publics. Bizarrement, d’après mon expérience personnelle, les labos qui marchent le mieux, et les entreprises qui ont une forte avance technologique dans leur secteur, fonctionnent ainsi. Mais la diffusion de ces façons de faire prend du temps…

EDIT : des membres du c@fé des Sciences me signalent un autre article basé sur le même rapport, qui donne 10 propositions pour dynamiser certains secteurs de la recherche. Certaines me semblent intelligentes : regrouper les universités et leur donner de l'autonomie, simplifier le financement (et l'organigramme, ajouterais-je) des labos, bref simplifier, rationaliser, améliorer la visibilité. Orienter les aides à la recherche vers les PME est intéressant à la fois d'un point de vue économique et scientifique, de même que l'augmentation des thèses CIFRE. D'autres me semblent beaucoup moins adaptées à la réalité de la recherche : si je suis partisan de développer jusqu'à un certain point le financement par projet, sa généralisation ne serait pas forcément une bonne chose.

7 commentaires:

Benjamin a dit…

Je suis d'accord que mon expression de "détournement" était sans doute malheureuse. Je prends un exemple concret : un labo décroche un partenariat sur projet avec un industriel, ce qui inclut le recrutement d'un post doc, payé par l'entreprise (les salaires sont vraiment une denrée rare dans l'argent des labos). La démarche et alors la suivante vécu) : dans le laboratoire, on réfléchira tout de suite aux projets de recherche fondamentale que pourra poursuivre ce post doc, et qui de fait constitueront l'essentiel de son activité.

Bien sûr, le manque de valorisation de la recherche est un problème de culture d'entreprise et de laboratoire, mais l'article du monde (et son lien) est proprement insultant. Comme ce qui est écrit dans le journal devient vrai, les chercheurs auront bien du mal a expliquer qu'ils manquent effectivment de moyens! Là encore, c'est mon vécu de biologiste qui parle, d'où un biais probable.

Anonyme a dit…

On peut etre d'accord sur les constats faits par le rapport (mais comme tu dis, on voudrait bien qu'il soit public...) mais l'article du monde est scandaleux car il reduit l'efficacite de la recherche a ses seuls resultats economiques (et economiques a court terme qui plus est !!). A partir de ce postulat, pas besoin d'etre inspecteur des finances pour savoir que les ecoles d'ingenieur ou le CEA font mieux que le CNRS ou la Maison de l'Homme...

De plus, on peut contester la logique qui veuille que les universites se soucient autant de la valorisation. Contrairement a ce que l'on colporte en france, le systeme americain ne marche pas du tout comme ca. Les entreprises americaines disent "la valorisation, la recherche appliquee, rapidement rentable, on sait faire et on fait mieux que le public. par contre cette recherche a besoin d'une recherche fondamentale qu'on n'a pas les moyens de se payer : c'est du trop long terme et ca profite autant a la concurrence qu'a nous. il faut donc que l'etat investisse massivement dans la recherche fondamentale". (bemol : il est vrai qu'au niveau federal les biologistes demandent des credits au National Institute of Heath et les physiciens au Department of Energy). Les entreprises francaises font tres peu de recherche. Il peut y avoir des raisons structurelles a cela (voir un recent post chez Olivier Ouba-Bouga). Mais il y a aussi le fait que le systeme "grandes ecoles" est un boulet pour la recherche francaise.

Je ne parle pas du marigot politique qui fait que ce rapport (en contradiction complete avec beaucoup d'autres) sorte maintenant. Ni du cirage de pompe que le Monde fait a un immigre de deuxieme generation, ministre des charters. Mais je m'emballe. Un plus et je rappelais le soutien debordant du journal de reverence pour Balladur. Mwarf !

Matthieu a dit…

@Benjamin : je te répondrais quatre choses :
1) que l'entreprise peut aussi poser des questions de recherche fondamentales, pour "explorer" un peu le domaine, et se garde la recherche d'applications. Ca n'est pas le système français, certes, mais il existe.
2) que si le projet de l'entreprise est un peu limité, c'est "le jeu" qu'une partie de l'argent serve à des choses peut-etre plus interessante. L'entreprise n'y est pas perdante sur le long terme, et ca ne lui coute pas beaucoup.
3) que l'argent "gaspillé" dont le rapport parle, ca n'est pas celui-là, mais celui des diverses missions, aides, visant à rapprocher labos et entreprises, et qui marchent mal.
4) que si ce que le journal écrit est vrai (que les chercheurs francais ne s'interessent pas aux applications et donc ne sont pas au top sur les financements privés), en quoi est-ce insultant ? Je l'écris aussi, et, que le Spaghetti Monster m'en garde, je ne veux pas être insultant. Y'aurait-il là un point sensible, peut-être parce qu'un peu vrai ?

@Blop : à mon grand regret, il n'est pas possible d'éditer les commentaires sur Blogger. Je vous demandrais donc de vous abstenir de vos commentaires politiques sans le moindre rapport avec le sujet. Ce que vous pouvez faire, c'est copier votre message, le supprimer (l'icone "poubelle" à coté de celui-ci) puis le remettre sans le dernier passage.

Ensuite, pour parler de la partie interessante de votre commentaire, "on peut contester la logique qui veut que les universités se soucient de la valorisation", mais moi, je ne la conteste pas, je la défend. Argumentez votre point de vue. Si vous dites "on a pas inventé l'électricité pour améliorer la bougie" (argument habituel) je vous répondrai que Benjamin Franklin étudiait la foudre pour trouver une source d'énergie et pour protéger les habitations des orages.

Matthieu a dit…

@Blop : ah, et j'ajoute que votre vision de la recherche aux USA est assez loin de la réalité.la recherche "exploratoire" est largement payée par les entreprises dans les universités.

Anonyme a dit…

très très rapidement pour ce soir

1. le tag de ce post c'est "politique". Et la politique scientifique c'est aussi de la politique. Croire que ce genre de rapport est commandé et dévoilé sans arrière-pensée c'est au mieux de la naiveté. De même que la position de Goulard sur ce rapport n'est pas forcément sans lien avec son anti-sarkozisme.

2. sur la valorisation, vous avez volontairement ôté un mot de ma phrase. Je n'ai pas écrit "on peut contester la logique qui veut que les universités se soucient de la valorisation" mais "on peut contester la logique qui veuille que les universites se soucient AUTANT de la valorisation". La valorisation peut tout à fait être un but de l'université, cela ne doit en aucun cas devenir le seul.

3. pour ce qui est de la recherche aux US, voir l'analyse du rapport de la CED ici :
http://recherche-en-danger.apinc.org/spip.php?article70

Anonyme a dit…

Pour ceux qui n'ont pas envie de lire le lien en 3 :

"Le rapport américain date de 1998. Il s’intitule " La recherche fondamentale américaine. La prospérité par la découverte" (America’s basic research. Prosperity through discovery) (1). Il a été rédigé par le CED (Committee for Economic Development) qui comprend quelques représentants des plus grandes universités américaines, et une majorité de représentants des plus grandes compagnies (2). [...] Le rapport du CED constitue une défense argumentée et vigoureuse de la recherche fondamentale américaine [....] Le CED souligne que si la recherche fondamentale doit être soutenue avant tout par des fonds publics [donc, ne pas être massivement privatisée], c’est parce que bien public et bien privé ne coïncident pas, et que la logique des entreprises ne peut pas être la même que celle de la société. Le rapport parle de retour sur investissement de la recherche, en précisant qu’il est légitime de chercher à mesurer la valeur créée par la recherche fondamentale, mais " après avoir bien défini de quelle valeur il s’agit, qui est propre à une mission et une institution ". Et d’expliciter ensuite que la valeur créée est constituée par des connaissances, mesurées non pas à l’aune d’applications, mais par le jugement par des pairs de la qualité de ces connaissances.""

Matthieu a dit…

@Blop : parfaitement, le thème de ce post, c'est la politique scientifique. "ministre des charters" et autres expressions du meme tonneau sont donc bien hors-sujet.

Revenons donc au sujet. Je m'excuse d'avoir omis un mot quand je t'ai cité, mais je maintiens mon commentaire. Parler de limiter le côté appliqué et valorisé de la recherche publique française manque de pragmatisme : on en est pas encore là, et si on y était, ça serait une sacré amélioration.

Et enfin, pour la recherche aux USA, je maintiens aussi. Les entreprises financent largement des sujets qui les interessent (soit recherche à court terme, optimisation, ..., soit exploratoire dans leur domaine), et, par le mécanisme décrit par Benjamin (une partie du temps et de l'argent sert à élargir la question, à trouver des modèles, etc...), la recherche "fondamentale" avance. Sauvons la Recherche fait une lecture partielle d'un rapport dont on ne sait rien de l'importance relative (un des x milliers de rapports de lobbying produits chaque année ?). Il est plutôt vieux (9 ans), pour ne rien arranger.