Je ne suis pas un fan du classement de Shangai des universités du monde. Biais en faveur des grosses universités, surimportance des prix Nobel, mélange de toutes les disciplines... Le classement du Times (accès réservé, désolé) est un peu plus équilibré, mais la pertinence de ce genre de classement reste toujours contestable. Ils peuvent difficilement mesurer la qualité de l'enseignement, tout au plus l'impact de l'université dans le monde de la recherche. C'est peut-être déjà bien, cela dit, car cette visibilité fait beaucoup pour sa renommé, sa capacité à attirer des étudiants et des chercheurs brillants.
Toujours est-il que plutôt que de se lamenter sur la place des universités et écoles françaises, complètement invisible à l'échelle mondiale, et essayer de se réformer, l'Ecole des Mines a proposé son propre classement. On s'étonne à peine que cinq établissements français (dont l'école des Mines) entrent dans le top 10 : ils ont simplement remplacé un biais par un autre.
Le critère est le nombre de PDG d'entreprises du top 500 du magazine Fortune.
Vous avez bien lu. L'Ecole des Mines, un des fleurons de l'intelligence française, prétend classer les universités du monde sur un critère unique, là ou même le classement de Shangai en croise plusieurs pour minimiser les biais. Et quel critère !
Le choix du nombre de PDG reflète bien le fonctionnement des écoles d'ingénieurs, qui forment des managers avant de former des ingénieurs (et ne parlons pas des scientifiques). La recherche est écarté de la "qualité" de l'établissement supérieur. Ca tombe bien, les écoles françaises n'en font presque pas. Pourtant, c'est là que se crée le savoir et l'innovation, cela devrait avoir son importance. Et si l'on veut mesurer la qualité de l'enseignement, une recherche dynamique est un formidable atout pour les élèves, qui apprennent souvent bien plus dans les labos et en conduisant leur propre recherche que dans les salles de cours. Mais ça ne fait pas partie du modèle français...
A l'extrème limite, si l'on devait suivre l'école des Mines dans cette façon de voir l'enseignement supérieur comme purement orientée vers le "business", il est ridicule de ne compter que les PDG du top 500 des entreprises mondiales. C'est un biais gigantesque en faveur de la France, où un système fermé d'école "d'élite" produit en vase clos un petit vivier de dirigeants pour quelques "champions nationaux". Aux Etats-Unis, un étudiant d'Harvard n'est pas destiné à viser le top management d'Exxon ou d'IBM, et à l'inverse ces positions dirigeantes ne sont pas inimaginables pour un graduate d'une université moins connue. L'Allemagne, le Royaume-Uni, presque tous les pays au monde sauf peut-être le Japon, n'ont pas ce système français qui est ici hyper-avantagé. Ajoutons que même si la France ne poussait pas autant ses "champions nationaux", et ses meilleurs étudiants vers des postes haut placés dans ces derniers, il y aurait toujours un biais en défaveur des pays émergents. En effet, des pays comme le Brésil, la Chine ou l'Inde ont parfois d'excellents établissements, mais peu d'entreprises dans le top 500. Il n'y a qu'à lire la liste des entreprises dans la première partie du classement...
Il aurait été préférable, si l'on veut rester dans le monde de l'entreprise (choix contestable en lui-même, mais passons), de compter le nombre de création d'entreprise à la sortie (voire avant la sortie) de l'école. Les qualités d'entrepreneur sont certainement plus représentatives de ce qu'un étudiant peut apprendre dans une bonne université, que ce soit sur le plan technique commercial ou humain, que celles d'un manager.
Récapitulons. L'Ecole des Mines, dans le seul but de faire figurer des établissements français dans un top 10 mondial, a créé le classement le plus mauvais que l'on pouvait imaginer. Le fait d'avoir retenu un seul critère, la décorrellation totale de ce critère avec l'enseignement ou la recherche qui s'effectue dans l'établissement, sont plus la marque d'une jalousie exacerbée que d'une volonté de recalibrer la mesure. Bien des biais français sont révélés ici : fierté mal placée, endogamie des élites, manque de remise en question. C'est presque un contre-exemple de ce à quoi il faut accorder de l'importance dans la réforme des universités et des écoles d'ingénieurs : l'économie et la société française ont besoin de scientifiques, d'entrepreneurs et de start-up, pas de managers et de champions nationaux. L'Ecole des Mines ne fait pas honneur à sa réputation, dans cette histoire.