Mais si je voulais écrire sur ce sujet, c'est parce qu'il m'a rappelé une autre histoire qui ne cesse de m'intriguer.
Les infections de bactéries peuvent avoir des conséquences
terribles. Dans la première moitié du XXème siècle, deux techniques médicales pour les combattre furent découvertes : les
antibiotiques et les
bactériophages. Les antibiotiques sont des molécules ayant la capacité de lutter contre les infections microbiennes, soit en tuant les bactéries, soit en ralentissant leur développement. Ces produits chimiques peuvent être plus ou moins spécifiques, c'est-à-dire agir sur un nombre plus ou moins grand de types différents de bactéries, mais sont sans effet sur les autres êtres vivants. Le premier d'entre eux à connaître la gloire scientifique, la péniciline, fut découvert par Fleming en 1928. Les phages, eux, sont des virus, la forme la plus simple d'êtres vivants. Parmi eux, les bactériophages s'attaquent aux bactéries uniquement, et ce, de façon spécifique. Ils ont été découvert par Félix d'Herelle en 1917, et le Géorgien Georges Eliava a fondé un institut de recherche sur le sujet dans son pays.
Les deux techniques ont connu des destins très différents. A première vue, les antibiotiques étaient plus interessants. Les progrès de la chimie fine, à cette époque, rendaient possible la synthèse en grande quantité. Ils étaient aussi plus facile à transporter, à stocker, et à administrer. D'un autre côté, les phages étaient plus risqués (après tout, ce sont des virus...), moins bien compris (la biologie n'était pas aussi avancée), plus difficiles d'emploi. La majorité des recherches se sont donc concentrées sur les antibiotiques.
Durant la guerre, les
deux techniques furent utilisées pour prévenir la septicémie chez les soldats blessés. Alors que les occidentaux developpaient les antibiotiques, les soviétiques gagnaient de l'expérience avec les bactériophages. La coupure a continué après la guerre : la littérature sur les phages étant essentiellement en Russe ou en Géorgien, cela ne facilitait pas la diffusion des connaissances.
Aujourd'hui, cette technique commence à être redécouverte, par le biais de récits miraculeux dont le sceptique endurci se méfie instinctivement. Quelles sont ces histoires de patients atteints de maladies nosocomiales, contaminés par les pires souches de staphylocoques dorés multirésistants, qui vont trouver leur
rémission dans un obscur hôpital géorgien délabré ? Serait-ce encore une lubie parascientifique ? Non, c'est un exemple très sérieux de cas où le développement scientifique a été gêné par les contraintes politiques, les barrières de langue, les intérêts économiques.
En un demi-siècle, les antibiotiques ont un peu perdu de leur superbe : dans une démonstration parfaite des lois de l'évolution par sélection naturelle, les bactéries ont
appris à survir aux doses de plus en plus massives de cocktails chimiques qui leur étaient servis. Tout simplement parce qu'une simple mutation, changeant par exemple une protéine à leur surface, peut les rendre insensibles aux antibiotiques. Ensuite, l'Homme facilite le développement de ces mutantes, en éliminant la souche originelle. Et c'est
ainsi que les maladies nosocomiales apparaissent...
Les phages, eux, sont capables de lutter dans cette course aux armements. Tout simplement car ils mutent, eux aussi, et ils mutent plus vite que les bactéries grâce à leur plus petite taille. Ainsi, si une bactérie mutante présente à sa surface une molécule différente de ses voisines, il se trouvera bien un phage mutant pour avoir le recepteur qui lui correspond.
La médecine redécouvre donc les phages avec intérêt. Les problèmes qui existaient n'ont pas disparu : les phages sont ultra-spécifiques (ils ne s'attaque qu'à une bactérie voire qu'à une souche de bactéries), sont difficiles à stocker et à administrer. De plus, puisque ce sont des êtres vivants, ils sont difficilement brevetables, ce qui risque de limiter les investissements. Voilà qui nous rappelle une
discussion précédente, n'est-ce pas ? Mais malgré tout, les choses avancent. La
Food and Drug Administration a approuvé l'emploi de phages en spray sur la nourriture pour lutter contre la Listeria, et les tests cliniques en phase 2 ont commencé à Londres pour un usage sur l'Homme, contre l'otite.