Penseur

mardi, novembre 28, 2006

On a marché sur l'eau (et un peu de Maïzena)

Je ne sais pas pour vous, mais j’ai un grand intérêt pour le comportement des gels, des mousses, des slimes et autres silly putty. Leurs comportements étranges – parfois liquides et parfois solides, élastique à certains moments et visqueux à d’autres – m’amusent et m’intriguent.

Un premier type de matériaux amusants à la frontière entre liquides et solides sont les fluides à seuil. Cela signifie qu’ils ne se comportent comme des fluides qu’à partir du moment où une force suffisamment importante est exercée sur eux. En dessous de cette force minimale, ils se comportent comme des solides. Un exemple pratique est la peinture anti-coulure, qui est fluide quand on la remue dans le pot, mais qui ne coule pas sur le mur. Un autre exemple, culinaire cette fois[1], est à chercher du côté des œufs en neige. D’une, voilà une bien étrange recette, où le mélange de blancs d’œufs liquides et d’air produit un solide. De deux, voilà-t’y-pas que ce solide, qui accroche au saladier retourné[2], s’étale sans problème sur la tarte au citron pour faire la meringue, sans opposer de résistance.

Ah, et encore un autre exemple : une fine poudre d’argile dans de l’eau produit un gel, même à de très faibles concentrations (quelques pourcents). En effet, les petites particules d’argiles sont chargées électriquement, ou plutôt polarisées (une charge différente à chaque extrémité), et s’assemblent rapidement en longues chaînes. Dans la démonstration que j’ai eu la chance de voir, les particules étaient de taille nanométrique, et s’assemblaient presque instantanément. Par contre, la force qui lie les particules entre elles n’est pas très importante, et le moindre choc brise l’assemblage et fait retourner le gel à son état de liquide. Il re-gélifie ensuite tout aussi vite, et « fige » les vagues et les gouttes en plein mouvement. C’est très joli[3] !

Une seconde catégorie, toute aussi amusante que la première, est celle que l’on appelle fluides viscoélastiques. Comme leur nom l’indique, ces fluides présentent à la fois un aspect visqueux, donc déformable, et un aspect élastique, tendant à ramener le fluide à sa forme initiale quand la force responsable du mouvement disparaît. L’effet qui va dominer va dépendre, en fait, de l’échelle de temps durant laquelle la force « déformante » va être appliquée. A temps courts, c’est-à-dire pour un choc bref, l’élasticité domine, et le matériau se comporte comme du caoutchouc. A temps longs, en appliquant par exemple une pression ou une traction régulière, la viscosité est dominante, et le matériau flue comme un liquide.

Le premier membre de cette étrange famille est le Silly Putty : cette pâte de silicone fait le bonheur des enfants (et la richesse de ses fabricants) grâce à ses propriétés étonnantes. Une boule de Silly Putty rebondit sur une table comme du caoutchouc (mieux, même), mais s’écoule comme un liquide si on la laisse tranquille (l’illustration de l’article vient de Flickr). Tout est une affaire d’échelle de temps… D’ailleurs, si l’on passe en-dessous de l’échelle de temps correspondant à la réaction élastique, on en arrive à un comportement de verre : voyez cette vidéo dans laquelle une boule de 25 kg est jetée du haut d’un immeuble.

Un autre exemple impressionnant est l’amidon de maïs[4] dilué dans de l’eau. Même à de faibles concentrations, le liquide s’épaissit (c’est pour cet effet qu’il est utilisé en cuisine), et présente une élasticité que vous pourrez constater sur la vidéo suivante. Remarquez la façon dont les personnes rebondissent quand elles bougent vite les jambes, et comme elles s’enfoncent dès qu’elles ralentissent. Encore et toujours une affaire d’échelle de temps…



[1] La cuisine fournit de nombreux exemples de matériaux étranges, et je ne parle pas que de mes expériences gastronomiques.

[2] Enfin, pas les miens.

[3] Mais impossible de trouver sur le web une illustration…

[4] La Maïzena, pour les cuisiniers.



2 commentaires:

Tom Roud a dit…

Très rigolo !
J'imagine que les fameux sables mouvants marchent de la même façon ?
Sinon, pour la bille de slime, y a-t-il une échelle critique pour la taille de la boule (liée par exemple à la longueur de la chaîne de polymère) ? Autrement dit, si tu fais la même manip avec une petite bille, se brise-t-elle aussi ?

Matthieu a dit…

Les sables mouvants sont aussi des fluides non-newtoniens, dans la catégories des fluides à seuil. Je crois que le nom savant est "thixotropie", faudra regarder sur wikipedia.

pour la taille de la boule, non, ce qui compte, c'est le temps caractéristique associé au choc (typiquement taille de la boule / vitesse au sol). donc une boule plus petite casse aussi, à partir d'une hauteur minimale plus basse (il faut tout de meme que l'énergie cinétique soit suffisante).