Penseur

mardi, octobre 24, 2006

OGM et débat public

[ironie ON]

Je continue ma série sur la mission des politiques et des médias sur les enjeux scientifiques et technologiques. Après les nanotechnologies, les OGM. Intéressons-nous à la façon dont le débat, serein, équilibré et rationnel, est alimenté par les différents acteurs institutionnels, et comment ils remplissent leur rôle d’intermédiaires entre la société civile et le monde scientifique.

[ironie OFF]

Ce qu’il y a de bien avec les OGM, c’est qu’ils sont les seuls à détroner les nanotechnologies sur le podium du débat le plus biaisé. Le Monde rapporte ainsi la demande d’une association (habituée aux coups médiatiques, par ailleurs) aux candidats à la présidentielles, pour qu’ils s’engagent plus fermement contre les OGM. Pourtant, les propos que ladite organisation cherche à voir graver dans le marbre sont très clairs (mais ce n’est pas pour autant qu’ils sont plus intelligents).

Nicolas Sarkozy (octobre 2006)

Comme beaucoup de consommateurs et d’agriculteurs, je ne perçois pas, pour le moment, le service réellement rendu par les OGM qui sont mis en culture dans le monde. Je partage donc leurs réticences à ce que nous les utilisions.

Je pense en revanche que nous devons poursuivre l’effort de recherche : en premier lieu, parce que c’est la condition de notre indépendance scientifique vis-à-vis de pays qui investissent massivement dans les OGM et qui pourraient être tentés plus tard de nous imposer leurs vues ; en second lieu, parce que rien ne permet d’exclure que les OGM permettent un jour, dans des conditions totalement sûres, des avancées spectaculaires en matière environnementale, en matière d’alimentation humaine, et même en matière médicamenteuse.

La production de molécules thérapeutiques plus sûres (insuline, enzyme contre la mucoviscidose) ? Les plantes résistantes aux insectes pour utiliser moins de pesticides ? Disons-le tout net : les avancées spectaculaires se sont déjà produites et se produiront encore. Quand Nicolas Sarkozy dit qu’il ne les perçoit pas, soit il est mal informé, soit il est de mauvaise foi et cherche à flatter son électorat. Enfin, au moins, il dit qu’il faut continuer la recherche parceque d’« autres » pourraient faire ces percées avant nous (c’est déjà fait), ce qui me fait penser qu’il n’est pas tout à fait honnête dans la première partie…

Ségolène Royal (Lens, septembre 2006 (ici pour la citation complète qui n’est pas sur son site))

Non seulement, il y aura une mesure de grâce [pour les Faucheurs Volontaires]mais il y aura la transcription en droit français du principe de précaution qui nous autorisera à interdire les OGM en plein champs. La question des OGM est symptomatique de la gestion environnementale du gouvernement de droite, parce qu’elle s’appuie sur le secret. Et dans bien des domaines, il faudra lever le secret en matière d’environnement. Les mensonges officiels qui ont eu lieu sur le nuage de Tchernobyl, les mensonges officiels qui ont lieu sur les OGM. Parce qu’on sait aujourd’hui, et il y a des rapports sur la santé publique qui montrent qu’il y a notamment un impact sur le fœtus. Les mensonges officiels sur les cancers du sein. Une femme sur dix aujourd’hui est touchée par le cancer du sein et l’on sait pertinemment qu’il s’agit des questions environnementales qui sont en jeu, les pesticides en particulier dans l’alimentation.

Comme avec Sarkozy, un bon point, cette fois pour la levée du secret et des zones d’ombres. Mais quelqu’un peut m’expliquer le rapport entre les OGM et les cancers provoqués par les pesticides ? Les problèmes posés par les pesticides sont bien réels, et ne se limitent pas au cancer du sein, mais un des buts des OGM est bien de limiter l’emploi des pesticides. Contradiction…

Que l’on me comprenne bien. Je ne suis pas un agent infiltré de Monsanto, venu pour faire de la propagande pour les graines Terminator (quoique l’argument soit utilisé trop souvent à mon goût). Je suis parfaitement conscient des risques posés par les OGM, notamment la dispersion de certains gènes pouvant accroître les risques de multi-résistances chez certains organismes. Je ne mange pas du bœuf aux hormones au petit-déjeuner. Je ne travaille pas dans le secteur. Je précise, parce que les amalgames vont vite dans ce pseudo-débat.

Mais, comme toujours, je plaide pour la recherche, pour l’évaluation sereine des risques et des opportunités. Est-ce que la société y gagne vraiment quand une bande d’allumés détruit un champ de culture transgénique, qui était au milieu d’une étude à long terme des possibilités de contamination génétique ?

Les opportunités sont là, dans tous les domaines : environnementaux, médicaux, agricoles. Le développement des agricultures des pays en développement pourrait en profiter, avec des plantes plus résistantes à la sécheresse ou au contraire aux inondations, avec de meilleurs rendements, ou demandant moins de soins. La Chine, par exemple, a fait le choix d’un basculement massif vers du riz OGM résistant aux bactéries, pour nourrir sa population et limiter l’emploi de pesticides. La question du suivi environnemental se pose alors avec acuité.

Car c’est bien là ce qui est nécessaire : la surveillance environnementale et les règles de la transparence. Si la recherche doit être soutenue, elle doit aussi faire l’objet d’un contrôle vigilant. Les parcelles d’OGM doivent être rendues publiques, ainsi que les contrôles effectués sur les champs voisins. L’étiquetage des produits doit être obligatoire, dès les premiers pourcents, afin de permettre au consommateur d’avoir le choix dans ses achats. Et, pour que mon paragraphe précédent sur le Tiers-Monde ne soit pas qu’un vœu pieux, il faut soit qu’un transfert de technologie se fasse avec les pays du sud, soit qu’une partie de l’aide au développement soit affectée directement à des centrales d’achat de semences. On en est loin, mais là, le problème n’est pas scientifique…

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Pourtant les chimères génétiques actuellement en culture sont conçues pour êtres très tolérantes aux pesticides, ce qui permet de les en arroser abondamment. Alors peut-être que l'abandon des pesticides est le projet fantasmé des concepteurs de chimères génétiques, mais concrètement c'est plutôt l'inverse qui s'est produit.

Anonyme a dit…

Hulk > Tu dis "concrètement" mais je voudrais bien voir des preuves de ce "concret" que tu avances. Aux dernières nouvelles (rapport de synthèse pour la Commission fédérale suisse d’experts pour la sécurité biologique), la situation est mitigée et les deux cas s'observent (réduction ou augmentation de l'usage de glyphosate) :

"The adoption of GMHT [NDLR: OGM résistants aux herbicides] varieties of oilseed rape in Canada, for example, has been associated with a reduction in the amount of herbicide used per hectare as well as a decline in the potential environmental impact of chemical weed management (Brimner et al. 2005). The average soybean herbicide application rates, in contrast, have slightly increased by 3% since the introduction of GMHT soybean in the U.S. (in terms of active ingredients per acreage) (Carpenter et al. 2002, Fernandez-Cornejo & Mc Bride 2002)."

Mais comme le souligne les auteurs du rapport, au-delà des quantités, il faut aussi comparer les "qualités" propres du glyphosate (herbicide total) par rapport aux herbicides qu'il remplace. Or il est connu pour être relativement inoffensif pour l'homme et avec une très faible rétention dans l'environnement (trois fois moins toxique selon Fernandez-Cornejo & Mc Bride 2002 et Duke 2005)...

Matthieu a dit…

Hulk, j'ai l'impression que tu confonds resistance aux herbicides et gene producteur d'hormone-pesticide ?

Dans le deuxième cas, il s'agit d'une diminution nette de la quantité de pesticide que l'agriculteur doit répandre, puisque la plante se défend seule contre les parasites.

Dans le premier cas, cela permet d'utiliser des herbicides sur des plantes normalement sensibles. Cela n'est pas forcement écologique, mais il faut prendre en compte qu'il est alors possible d'utiliser l'herbicide tot dans la croissance de la plante, une fois pour toute, au lieu d'en mettre régulièrement de petites quantités. Il y a peut-etre d'autres effets - en tout cas, les chiffres données par Enro semblent suggérer que l'impact environnemental peut etre bon.

Anonyme a dit…

Oui je parlais bien de résistance aux herbicides. Il prendre en compte les volumes au niveau mondial, je comprends bien que suivant les lieux et les cultures les doses de produits utilisés peuvent évoluer différemment.

Le glyphosate semble plus toxique et persistant qu'on ne le dit si j'en crois les décisions de justice dans plusieurs pays condamnant Monsanto pour publicité mensongère à ce sujet.

En tous cas il y a pour moi quelque chose de choquant dans l'approche contemporaine de l'agriculture, dont les PGM ne sont que l'extension. Je trouve bizarre qu'on s'évertue à tuer ou écarter tout ce qui est considéré comme gênant, parasitique, au seul motif d'augmenter les rendements. Ces parasites font partie intégrante de notre monde, ils sont nécessaires à un écosystème équilibré et vivant. En les tuant, c'est toute la vie qu'il y a autour qu'on évacue, en particulier celles des sols (cf travaux de Claude et Lydia Bourguignon). Sur le long terme, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne approche.

Il est en effet tout à fait possible de cultiver avec des parasites (animaux ou végétaux), tant que ceux-ci sont présents en quantité raisonnable. S'ils sont trop nombreux, cela devrait être interpreté comme un signal que quelque chose n'a pas été fait correctement plutôt qu'un ennemi à détruire. D'autant plus que les "mauvaises" herbes sont parfois des trésors (plantes nutritives, médicinales, arômatiques, etc). Sans forcément aller jusqu'à la permaculture, il y a de nombreuses techniques agricoles qui ne considèrent pas la terre comme une usine de produits asceptisés.

Anonyme a dit…

un des buts des OGM est bien de limiter l’emploi des pesticides

Je suis perplexe par rapport a cette phrase. Un OGM n'a pas de but en soi.
Est-ce que vous parlez des chercheurs, ou des multinationales qui possedent les brevets?
Je veux bien croire a la bonne foi des premiers, mais j'emettrai un doute sur celle des seconds.

La lutte contre les OGM, c'est aussi une lutte pour eviter de rendre toute l'agriculture dependante d'une poignee de multinationales, qui n'obeissent qu'a une seule loi, celle du profit.

En ce sens oui la societe y gagne quand une bande d'allumes detruit un champ de culture transgenique.

Matthieu a dit…

Stfa, je ne suis pas d'accord. Les OGMS sont créés (par les peut-être-gentils scientifiques ou les surement-méchantes multinationales) pour être vendus, ça c'est sur, mais pour être vendus ils doivent bien avoir un but, non ? Tu n'imagines pas qu'un agriculteur va être tenté par un OGM qui ne fait rien, je suppose. Un OGM qui divise sa consommation de pesticides par 5 ou 10, et qui lui fait économiser autant de travail et d'argent, là il réfléchit.

Je ne dis pas que tout est rose. Par exemple, les premiers agriculteurs chinois qui ont utilisé du riz et du coton transgénique, après avoir utilisé BEAUCOUP moins de produits chimiques les premières années, doivent en réutiliser presque autant maintenant. D'après les auteurs de l'étude, il ne fallait pas diminuer les doses d'un coup, mais progressivement, pour ne pas diminuer trop vite la pression sur les insectes et autres parasites locaux.

Ce que je dis par contre, c'est que diaboliser directement le processus avec des "multinationales" et des "lois du profit" ne relève pas du débat scientifique et citoyen, mais de la réaction épidermique.

Anonyme a dit…

Tiens je reviens sur le sujet après une longue période d'absence.

Ce qui est frappant dans toutes ces histoires, c'est le changement de paradigme qui s'est opéré ces dernières années. Il est significatif que les innovations scientifiques les plus récentes se présentent de plus en plus explicitement, de l'avis des scientifiques et des experts eux-mêmes, comme des risques à prendre plutôt que comme des intentions ou des promesses de maîtrise. Songeons par exemple aux OGM, dont les tests nécessitent des "essais" (en plein champ) qui n'en sont pas, puisque les effets de ces "tests" sont d'emblée irréversibles. Songeons aussi et surtout aux produits des nanotechnologies, dont le mode d'emploi demande à ce qu'ils soient disséminés. Cela signifie d'ailleurs qu'une fois consciente de ce changement de paradigme (de maîtres et possesseurs de la nature à apprentis mutants), de larges parties de la population sont à même de s'opposer à de telles innovations.