Je n'ai pas eu vraiment le temps de bloguer, récemment, mais ce billet me trottait dans la tête depuis un moment. Depuis, en fait, que j'ai entendu parler de la publication de Timothy Lu et James Collins (PNAS, 3 juillet) sur le design de virus conçu pour dissoudre les "biofilms". Les biofilms sont des couches gélifiées de polysaccharides et de protéines, secrétés par des bactéries pour leur protection. Ils permettent aux bactéries de résister à la plupart des traitements chimiques, et de s'installer dans les recoints difficiles d'accès des appareils médicaux ou de manipulation de nourriture, ce qui peut conduire à des infections. L'article en question décrit une belle application de la biologie synthétique, dans laquelle les bioingénieurs ont ajouté une enzyme capable de dissoudre le biofilm.
Mais si je voulais écrire sur ce sujet, c'est parce qu'il m'a rappelé une autre histoire qui ne cesse de m'intriguer.
Les infections de bactéries peuvent avoir des conséquences terribles. Dans la première moitié du XXème siècle, deux techniques médicales pour les combattre furent découvertes : les antibiotiques et les bactériophages. Les antibiotiques sont des molécules ayant la capacité de lutter contre les infections microbiennes, soit en tuant les bactéries, soit en ralentissant leur développement. Ces produits chimiques peuvent être plus ou moins spécifiques, c'est-à-dire agir sur un nombre plus ou moins grand de types différents de bactéries, mais sont sans effet sur les autres êtres vivants. Le premier d'entre eux à connaître la gloire scientifique, la péniciline, fut découvert par Fleming en 1928. Les phages, eux, sont des virus, la forme la plus simple d'êtres vivants. Parmi eux, les bactériophages s'attaquent aux bactéries uniquement, et ce, de façon spécifique. Ils ont été découvert par Félix d'Herelle en 1917, et le Géorgien Georges Eliava a fondé un institut de recherche sur le sujet dans son pays.
Les deux techniques ont connu des destins très différents. A première vue, les antibiotiques étaient plus interessants. Les progrès de la chimie fine, à cette époque, rendaient possible la synthèse en grande quantité. Ils étaient aussi plus facile à transporter, à stocker, et à administrer. D'un autre côté, les phages étaient plus risqués (après tout, ce sont des virus...), moins bien compris (la biologie n'était pas aussi avancée), plus difficiles d'emploi. La majorité des recherches se sont donc concentrées sur les antibiotiques.
Durant la guerre, les deux techniques furent utilisées pour prévenir la septicémie chez les soldats blessés. Alors que les occidentaux developpaient les antibiotiques, les soviétiques gagnaient de l'expérience avec les bactériophages. La coupure a continué après la guerre : la littérature sur les phages étant essentiellement en Russe ou en Géorgien, cela ne facilitait pas la diffusion des connaissances.
Aujourd'hui, cette technique commence à être redécouverte, par le biais de récits miraculeux dont le sceptique endurci se méfie instinctivement. Quelles sont ces histoires de patients atteints de maladies nosocomiales, contaminés par les pires souches de staphylocoques dorés multirésistants, qui vont trouver leur rémission dans un obscur hôpital géorgien délabré ? Serait-ce encore une lubie parascientifique ? Non, c'est un exemple très sérieux de cas où le développement scientifique a été gêné par les contraintes politiques, les barrières de langue, les intérêts économiques.
En un demi-siècle, les antibiotiques ont un peu perdu de leur superbe : dans une démonstration parfaite des lois de l'évolution par sélection naturelle, les bactéries ont appris à survir aux doses de plus en plus massives de cocktails chimiques qui leur étaient servis. Tout simplement parce qu'une simple mutation, changeant par exemple une protéine à leur surface, peut les rendre insensibles aux antibiotiques. Ensuite, l'Homme facilite le développement de ces mutantes, en éliminant la souche originelle. Et c'est ainsi que les maladies nosocomiales apparaissent...
Les phages, eux, sont capables de lutter dans cette course aux armements. Tout simplement car ils mutent, eux aussi, et ils mutent plus vite que les bactéries grâce à leur plus petite taille. Ainsi, si une bactérie mutante présente à sa surface une molécule différente de ses voisines, il se trouvera bien un phage mutant pour avoir le recepteur qui lui correspond.
La médecine redécouvre donc les phages avec intérêt. Les problèmes qui existaient n'ont pas disparu : les phages sont ultra-spécifiques (ils ne s'attaque qu'à une bactérie voire qu'à une souche de bactéries), sont difficiles à stocker et à administrer. De plus, puisque ce sont des êtres vivants, ils sont difficilement brevetables, ce qui risque de limiter les investissements. Voilà qui nous rappelle une discussion précédente, n'est-ce pas ? Mais malgré tout, les choses avancent. La Food and Drug Administration a approuvé l'emploi de phages en spray sur la nourriture pour lutter contre la Listeria, et les tests cliniques en phase 2 ont commencé à Londres pour un usage sur l'Homme, contre l'otite.
Les infections de bactéries peuvent avoir des conséquences terribles. Dans la première moitié du XXème siècle, deux techniques médicales pour les combattre furent découvertes : les antibiotiques et les bactériophages. Les antibiotiques sont des molécules ayant la capacité de lutter contre les infections microbiennes, soit en tuant les bactéries, soit en ralentissant leur développement. Ces produits chimiques peuvent être plus ou moins spécifiques, c'est-à-dire agir sur un nombre plus ou moins grand de types différents de bactéries, mais sont sans effet sur les autres êtres vivants. Le premier d'entre eux à connaître la gloire scientifique, la péniciline, fut découvert par Fleming en 1928. Les phages, eux, sont des virus, la forme la plus simple d'êtres vivants. Parmi eux, les bactériophages s'attaquent aux bactéries uniquement, et ce, de façon spécifique. Ils ont été découvert par Félix d'Herelle en 1917, et le Géorgien Georges Eliava a fondé un institut de recherche sur le sujet dans son pays.
Les deux techniques ont connu des destins très différents. A première vue, les antibiotiques étaient plus interessants. Les progrès de la chimie fine, à cette époque, rendaient possible la synthèse en grande quantité. Ils étaient aussi plus facile à transporter, à stocker, et à administrer. D'un autre côté, les phages étaient plus risqués (après tout, ce sont des virus...), moins bien compris (la biologie n'était pas aussi avancée), plus difficiles d'emploi. La majorité des recherches se sont donc concentrées sur les antibiotiques.
Durant la guerre, les deux techniques furent utilisées pour prévenir la septicémie chez les soldats blessés. Alors que les occidentaux developpaient les antibiotiques, les soviétiques gagnaient de l'expérience avec les bactériophages. La coupure a continué après la guerre : la littérature sur les phages étant essentiellement en Russe ou en Géorgien, cela ne facilitait pas la diffusion des connaissances.
Aujourd'hui, cette technique commence à être redécouverte, par le biais de récits miraculeux dont le sceptique endurci se méfie instinctivement. Quelles sont ces histoires de patients atteints de maladies nosocomiales, contaminés par les pires souches de staphylocoques dorés multirésistants, qui vont trouver leur rémission dans un obscur hôpital géorgien délabré ? Serait-ce encore une lubie parascientifique ? Non, c'est un exemple très sérieux de cas où le développement scientifique a été gêné par les contraintes politiques, les barrières de langue, les intérêts économiques.
En un demi-siècle, les antibiotiques ont un peu perdu de leur superbe : dans une démonstration parfaite des lois de l'évolution par sélection naturelle, les bactéries ont appris à survir aux doses de plus en plus massives de cocktails chimiques qui leur étaient servis. Tout simplement parce qu'une simple mutation, changeant par exemple une protéine à leur surface, peut les rendre insensibles aux antibiotiques. Ensuite, l'Homme facilite le développement de ces mutantes, en éliminant la souche originelle. Et c'est ainsi que les maladies nosocomiales apparaissent...
Les phages, eux, sont capables de lutter dans cette course aux armements. Tout simplement car ils mutent, eux aussi, et ils mutent plus vite que les bactéries grâce à leur plus petite taille. Ainsi, si une bactérie mutante présente à sa surface une molécule différente de ses voisines, il se trouvera bien un phage mutant pour avoir le recepteur qui lui correspond.
La médecine redécouvre donc les phages avec intérêt. Les problèmes qui existaient n'ont pas disparu : les phages sont ultra-spécifiques (ils ne s'attaque qu'à une bactérie voire qu'à une souche de bactéries), sont difficiles à stocker et à administrer. De plus, puisque ce sont des êtres vivants, ils sont difficilement brevetables, ce qui risque de limiter les investissements. Voilà qui nous rappelle une discussion précédente, n'est-ce pas ? Mais malgré tout, les choses avancent. La Food and Drug Administration a approuvé l'emploi de phages en spray sur la nourriture pour lutter contre la Listeria, et les tests cliniques en phase 2 ont commencé à Londres pour un usage sur l'Homme, contre l'otite.
3 commentaires:
j'ai quelques commentaires (mais le contraire t'eût étonné, n'est-ce pas?).
Tout d'abord, s'il y a une séparation entre Est et Ouest, elle ne concernait que l'application thérapeutique des bactériophages. Lamda, P1 ou M13 ont été largement étudiés (c'est un euphémisme) en Europe et aux US depuis 1945.
Ensuite, tu cites la capacité des phages à muter comme avantage adaptatif potentiellement utilisable en thérapeutique. A mon sens, c'est aussi un désavantage du point de vue d'une agence nationale d'autorisation de médicaments (i.e. FDA ou EMEA). Il n'est pas possible pour la sûreté du malade de lui injecter quelque chose dont on ne peut prévoir l'évolution dans l'organisme.
Enfin, pour ce qui est de la question du brevet... Les phages, comme les bactéries, sont brevetables s'ils répondent au critère habituels de brevetabilité(nouveauté, activité inventive, application industrielle. Le plus souvent, il faut déposer un échantillon auprès d'une collection de microorganimes reconnue, de façon à satisfaire à l'exigence de suffisance de description. Et bien entendu, l'utilisation thérapeutique d'un phage, si elle satisfait aux conditions de brevetabilité (nouveauté, acitivité inventive, application industrielle), est brevetable.
Plus dans trois semaines.
Excellent billet !
Collins va bientôt être multi-millionnaire au rythme de ses découvertes ...
Les commentaires de Zmb sont la perle de ce blog, et lui permettent de s'élever au-dessus des reférences wikipédia qui font son ordinaire.
Le caractère mutant du virus est bien sûr un des points qui freinent son utilisation : et s'il se met à attaquer la flore intestinale, voire encore pire s'il se met à s'attaquer aux tissus humains ? C'est en cela que l'expérience médicale (et pratique) acquise par le centre géorgien devient aujourd'hui précieuse. Et je suppose que les chercheurs qui lisent le russe ont pas mal d'archives à fouiller...
Pour la brevetabilité, merci des ces precisions. Si l'utilisation thérapeutique des phages est brevetable, alors, est-ce qu'ils deviennent interessants pour les compagnies pharmaceutiques ? J'ai l'impression que l'impossibilité de les produire en grande quantité, et leur caractère tres spécifique, limite la chose.
@Tom Roud : bah, quel prof au MIT n'est pas riche à millions à coup de brevets ?
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