Vous avez certainement lu l'article de Timothé, intitulé Les OGM sont-ils dangereux pour la santé, l'étude qui désinforme. Si ce n'est pas le cas, courez-y : il y met en évidence les failles dans l'argumentaire du journaliste de Canal+ dans ce documentaire consacré au maïs transgénique MON863 de Monsanto, le manque de rigueur scientifique, la partialité, la facilité de jouer sur les peurs plutôt que de raisonner. Le verdict est sans appel : le documentaire est manipulateur, si ce n'est menteur. Les scientifiques cités "à charge" dans le documentaire ont d'ailleurs réagi avec violence à la déformation de leurs propos sortis de leur contexte.
Mais, il y a un mais.J'ai l'impression que nous touchons là à la limite de la démarche scientifique que les membres du c@fé des sciences cherchent à défendre. En effet, je sens en moi deux courants apparemment contradictoires.
D'un côté, je partage parfaitement cette indignation devant ce reportage de mauvaise qualité, qui m'a fait bondir de mon siège à plusieurs reprises. Ces journalistes, qui prétendent rechercher la vérité, déforment les propos recueillis et malmènent les statistiques pour coller avec leur objectif, "se payer" le Grand Méchant Monsanto. L'objectif des OGMs est de produire des variétés de plantes qui nécessitent moins de produits chimiques (herbicides ou pesticides) pour leur entretien, qui offrent de meilleurs rendements, ou qui s'adaptent à des conditions climatiques difficiles. Dans tous les cas, ces qualités se retrouvent dans le prix final, et, si la qualité ne diminue pas, le consommateur y gagne. Il faut aussi mentionner les perspectives de développement de l'agriculture dans les pays du Tiers-Monde et ceux à forte croissance démographique.
Mais d'un autre côté, en tant que consommateur, je ne souhaite pas que les OGMs se généralisent. Le principal danger n'est pas, de mon point de vue, la santé, car je pense qu'aucun produit toxique à grande échelle ne sera autorisé. Non, le problème viendrait surtout que les firmes comme Monsanto concentrent et concentreront leur offre sur un petit nombre de variétés, moins coûteuses, plus productives, plus résistantes aux parasites, aux produits chimiques ou aux conditions climatiques. Or, tout ce qui va dans le sens d'une perte de variété, dans le sens d'une industrialisation croissante de l'alimentation, me semble néfaste à long terme. Les effets négatifs sont, par exemple, une résistance aux nouvelles maladies ou aux parasites réduite, ou l'effacement du goût et de la valeur nutritive devant la rentabilité de la culture. Ces tendances s'affirment déjà fortement sans que le OGMs ne soient généralisés, du moins en Europe, alors je ne pense pas qu'il soit bon de creuser cette voie.
Me voilà donc devant un dilemme. D'un point de vue politique, je devrais soutenir le reportage de Canal+, qui est un brûlot combattant la plantation d'OGMs. De la même façon, je devrais applaudir quand, entre autres bêtises, les faucheurs d'OGMs détruisent une plantation vieille de 7 ans, faisant partie d'un test scientifique visant à mesurer la dissémination des gènes à l'échelle de dix ans.
Et bien non, désolé, je ne peux pas. Je pense que c'est pour cela qu'aussi peu de scientifiques font une carrière politique : les déformations professionelles qui consistent à s'intéresser à la vérité, admettre que l'on peut avoir tort et éviter les dogmatismes faciles sont des défauts encombrants.
J'en arrive à un deuxième problème, qui a provoqué ce billet. D'après cet article du Monde, le traitement statistique par le Criigende l'étude de toxicité de Monsanto (obtenu par Greenpeace après une procédure judiciaire) avérerait l'existence d'effets secondaire sur l'organisme de rats nourris au maïs transgénique. La non-corrélation entre dose de maïs transgénique ingérée et intensité des effets, le fait que l'effet sur les mâles est différent de celui sur les femelles, et la grande variabilité naturelle des paramètres observés, rendent l'interprétation difficile. Le Criigen, financé par Greenpeace, crie bien sûr au loup. Monsanto, de son côté, ne nie pas les écarts statistiques observés, mais, avec la Commission au Génie Biomoléculaire, affirment qu'il n'y a pas toxicité ou qu'il n'y a pas de lien avec l'OGM. En tout cas, le débat scientifique a (enfin) lieu, et le moins que l'on puisse espérer, c'est que de nouvelles études soient menées avant toute commercialisation. Il est toutefois regrettable qu'ait fallu en passer par l'activisme d'un groupe que je ne porte pas particulièrement dans mon coeur, Greenpeace, pour débloquer la situation.
Il faut de tout, semble-t-il, pour faire un monde...
Mais, il y a un mais.J'ai l'impression que nous touchons là à la limite de la démarche scientifique que les membres du c@fé des sciences cherchent à défendre. En effet, je sens en moi deux courants apparemment contradictoires.
D'un côté, je partage parfaitement cette indignation devant ce reportage de mauvaise qualité, qui m'a fait bondir de mon siège à plusieurs reprises. Ces journalistes, qui prétendent rechercher la vérité, déforment les propos recueillis et malmènent les statistiques pour coller avec leur objectif, "se payer" le Grand Méchant Monsanto. L'objectif des OGMs est de produire des variétés de plantes qui nécessitent moins de produits chimiques (herbicides ou pesticides) pour leur entretien, qui offrent de meilleurs rendements, ou qui s'adaptent à des conditions climatiques difficiles. Dans tous les cas, ces qualités se retrouvent dans le prix final, et, si la qualité ne diminue pas, le consommateur y gagne. Il faut aussi mentionner les perspectives de développement de l'agriculture dans les pays du Tiers-Monde et ceux à forte croissance démographique.
Mais d'un autre côté, en tant que consommateur, je ne souhaite pas que les OGMs se généralisent. Le principal danger n'est pas, de mon point de vue, la santé, car je pense qu'aucun produit toxique à grande échelle ne sera autorisé. Non, le problème viendrait surtout que les firmes comme Monsanto concentrent et concentreront leur offre sur un petit nombre de variétés, moins coûteuses, plus productives, plus résistantes aux parasites, aux produits chimiques ou aux conditions climatiques. Or, tout ce qui va dans le sens d'une perte de variété, dans le sens d'une industrialisation croissante de l'alimentation, me semble néfaste à long terme. Les effets négatifs sont, par exemple, une résistance aux nouvelles maladies ou aux parasites réduite, ou l'effacement du goût et de la valeur nutritive devant la rentabilité de la culture. Ces tendances s'affirment déjà fortement sans que le OGMs ne soient généralisés, du moins en Europe, alors je ne pense pas qu'il soit bon de creuser cette voie.
Me voilà donc devant un dilemme. D'un point de vue politique, je devrais soutenir le reportage de Canal+, qui est un brûlot combattant la plantation d'OGMs. De la même façon, je devrais applaudir quand, entre autres bêtises, les faucheurs d'OGMs détruisent une plantation vieille de 7 ans, faisant partie d'un test scientifique visant à mesurer la dissémination des gènes à l'échelle de dix ans.
Et bien non, désolé, je ne peux pas. Je pense que c'est pour cela qu'aussi peu de scientifiques font une carrière politique : les déformations professionelles qui consistent à s'intéresser à la vérité, admettre que l'on peut avoir tort et éviter les dogmatismes faciles sont des défauts encombrants.
J'en arrive à un deuxième problème, qui a provoqué ce billet. D'après cet article du Monde, le traitement statistique par le Criigende l'étude de toxicité de Monsanto (obtenu par Greenpeace après une procédure judiciaire) avérerait l'existence d'effets secondaire sur l'organisme de rats nourris au maïs transgénique. La non-corrélation entre dose de maïs transgénique ingérée et intensité des effets, le fait que l'effet sur les mâles est différent de celui sur les femelles, et la grande variabilité naturelle des paramètres observés, rendent l'interprétation difficile. Le Criigen, financé par Greenpeace, crie bien sûr au loup. Monsanto, de son côté, ne nie pas les écarts statistiques observés, mais, avec la Commission au Génie Biomoléculaire, affirment qu'il n'y a pas toxicité ou qu'il n'y a pas de lien avec l'OGM. En tout cas, le débat scientifique a (enfin) lieu, et le moins que l'on puisse espérer, c'est que de nouvelles études soient menées avant toute commercialisation. Il est toutefois regrettable qu'ait fallu en passer par l'activisme d'un groupe que je ne porte pas particulièrement dans mon coeur, Greenpeace, pour débloquer la situation.
Il faut de tout, semble-t-il, pour faire un monde...
6 commentaires:
Tu considères que l'on peut avoir une opinion mais que cela ne doit pas justifier le franchissement d'une ligne jaune de la "raison" et de l'honnêteté, très bien. Je suis même plutôt d'accord. Mais le problème est qu'en face, le courant dominant, l'attitude "moderne" comme l'appellent les sociologue Joly et Marris, dit s'appuyer sur la "sound science" pour soutenir rien moins... qu'un discours chargé d'autres valeurs (progrès, mondialisation, anthropisation du monde etc.) ! Difficile donc d'être symétrique et de ne pas tomber soi-même dans l'excès. Ce qui est bien avec l'action de Greenpeace et les travaux scientifiques de G.-E. Séralini et la Crii-Gen (où, d'ailleurs, as-tu vu qu'elle est financée par Greenpeace ?), c'est qu'elle brouille ces frontières en montrant que les anti-OGM peuvent aussi s'appuyer sur de la "sound science". Un partout, balle au centre, si je puis dire, et peut-être que les valeurs en ressortiront vainqueurs -- plutôt que les dissimuler sous l'argument scientifique. Bref, plus de développements dans un prochain billet à quatre mains avec Le Doc' !
Au temps pour moi : c'est bien dans l'article du Monde qu'il est dit que ces travaux ont été financés "par Carrefour et Greenpeace". Mais je doute que le reste de l'activité du Criigen le soit, et qu'on puisse par conséquent affirmer que le Criigen est "financé par Greenpeace" ! Comme il serait absurde de dire que le CNRS est financé par l'ANR ;-) Mais j'attends que tu me prouves le contraire...
Comme je ne suis pas "chez moi" et que la poussière est retombée après cette histoire de vidéo, je vais dire ce que j'en pense.
Volontairement, j'avais refusé de donner mon point de vue sur les OGM pendant que je parlais de ce reportage. Principalement parce que comme Matthieu, je ne suis pas spécialement un fana de leur généralisation. Des initiatives comme le Golden Rice me plaisent plutôt, mais que Monsanto soit en position de truster l'agriculture mondiale (voire les degats faits en Inde), ca me fait flipper.
D'autant que comme ton dernier paragraphe le mentionne, il peut y avoir des effets émergents, que seule une série d'études approfondies ET pluridisciplinaires pourraient mettre en évidence.
Je pense que techniquement les OGM ne sont pas un problème (j'en avais fait un en génomique veg en L3). Est-ce qu'on connait leur impact environnemental? J'ai comme un doute, puisque les effets du gene-flow potentiel se ressentiront peut-être sur une période de 10, 20, 100 ans. Et que les sélections des souches OGM au détriment des souches sauvages prendront encore plus de temps. L'incertitude est forcément énorme.
Alors, soutenir ce reportage ou pas? Ca revient à passer sur la forme pour défendre le fond, et je ne pense pas que beaucoup de scientifiques soient prêts à le faire. Ca reviendrait à dire "oui regardez, mes manips ont été faites avec les pieds et sans contrôles, mais j'ai des résultats". Pas franchement dans l'esprit.
Donc non, je ne soutiens surement pas ce genre de pratiques, mais si une autre occasion se présentait, avec un reportage intègre et suffisamment exhaustif, il est très probable que j'aie une réaction différente.
Tu trouves vraiment que ces articles ont débloqué la situation ?
Je pense au contraire qu'on repart dans un débat manichéen et hypocrite. Que ce soit Greenpeace ou Monsanto, les arguments ne seront jamais objectifs. En plus, c'est le dernier article publié par le CRIIGEN qui fait parler de lui, alors je ne vois pas de débat se profiler à l'horizon mais bien de nouveau une manipulation des opinions par les médias !
Et je n'arrive toujours pas à mettre la main sur cet article scientifique pour voir ce qu'il en est vraiment !
En bref, à mon avis, cette histoire ne va certainement pas faire avancer le débat mais au contraire instiller de nouveau des idées sans en discuter.
@Timothée : Voila, c'est exactement ça. Le reportage peut avoir raison (ce mais est dangereux pour la santé, Monsanto a essayé de le faire passer en négligeant des signes cliniques potentiellement inquietant) tout en argumentant de façon biaisée et fausse. Doit-on le dénoncer ou au contraire, accepter tout ce qui va "dans le bon sens". Cette deuxième solution, politique, ne me plaît pas. La premiere solution, que tu as choisi (et j'aurais fait la meme chose) fait courir le risque de l'inaction. J'en reste à m'interroger.
Enro : c'est l'étude, et pas le criigen en général, qui est financé par Carrefour et Greenpeace. Ma tournure de phrase dans le billet laisse effectivement place au doute.
Et j'aimerais pouvoir etre aussi certain que toi que les anti-OGM s'appuient effectivement sur la science.
@Béné : bien evidemment les experts financés dans un but précis (prouver ou non la toxicité) ont une part de subjectivité - la facon dont ils interprètent les résultats. Mais je note qu'ici, les résultats en eux-meme ne sont pas contestés. Il me semble qu'il faudrait de nouveaux tests, débarassés des problèmes du premier - et ce genre d'exposition médiatique et d'avis contradictoire me semble etre le meilleur moteur pour cela.
Matthieu >
Crois moi, j'espère sincèrement qu'à l'avenir, des tests plus poussés seront faits, et qu'ils seront demandés à la foi par l'opinion et par les autorités. Mais permets moi de douter que ce type d'exposition médiatique fera changer les opinions.
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