Je me ferais bien une infusion, moi.
Un peu d'eau dans une casserole. J'allume la plaque - température maximale.
Quelques minutes s'écoulent.
Premier temps. Ouïe. Un léger sifflement, qui se fait de plus en plus insistant. Sifflement = son = oscillation de l'air. Qu'est ce qui la provoque ? Est-ce le métal de la casserole qui vibre, peut-être à cause d'un gradient de température entre le fond chaud et les bords encore froids, ou refroidis par l'eau ?
Deuxième temps. Odorat. Odeur animale - aurais-je oublié de nettoyer les plaques la dernière fois ? Est-ce que les molécules de gras sont juste vaporisées, ou subissent-elles une transformation ? Un bon sujet de cuisine moléculaire. D'ailleurs, une recherche Google ne m'apporte pas la réponse, mais m'oriente vers un compte-rendu de séminaire de gastronomie moléculaire. Ca a l'air passionnant, j'aimerais avoir l'occasion d'essayer un jour. Quelqu'un y a déjà participé ?
Troisième temps. Vue. En me penchant au-dessus de la casserole, je vois quelques petits filaments de très petites bulles. Ah, ça, je sais : l'élévation de la température rend le changement de phase liquide -> gaz favorable thermodynamiquement, mais la barrière énergétique est élevée : il faut "payer" la création de la surface de la bulle. Cet obstacle est beaucoup plus faible sur le contour d'une impureté (imaginez une bulle sur un mur : la surface est deux fois plus faible. Et bien, dans le creux d'une infractuosité, elle est encore plus petite). C'est pour cela qu'il faut essuyer les verres de champagne avec un torchon : les fibres déposées serviront de sites d'amorçage (de nucléation). Les colonnes de bulles viennent donc des éraflures au fond de la casserole.
Quatrième temps. Ouïe. Le sifflement est remplacé par un bouillonnement, on passe de l'aigu au grave. Les vibrations de l'air sont créées par les explosions des bulles qui crèvent la surface. La vitesse de crevaison, constante, dans une bulle de savon est donnée par le rapport entre la tension de surface et la viscosité, ça doit être pareil ici. Alors, pour l'eau, la tension est de 70mN/m2, la viscosité dynamique de, disons, 0,4 mm2/s, la densité de 1kg/dm3. On arrive à une vitesse d'ouverture de 0.2 m/s environ. Une bulle d'un millimètre met donc 6ms pour éclater. En Hertz, ça donne 175 Hz : un son plutôt grave. Pour les amateurs de belle physique, voilà un pdf pour tout savoir sur la "peau de l'eau".
Cinquième temps. Vue. Les bulles, de plus en plus nombreuses, se collent entre elle et forment des radeaux. Je me souviens que Mahadevan, un professeur de mathématiques appliquées d'Harvard, a expliqué le phénomène récemment, sous le nom de "Cheerios effect". Si vous voulez savoir pourquoi les céréales forment des radeaux à la surface de votre bol de lait (ou collent aux parois), c'est ici. Mahadevan fait certainement partie des scientifiques que j'admire le plus : il parvient à analyser, physiquement, mathématiquement, et numériquement, des phénomènes naturels beaux et amusants. Par exemple, il a donné les règles physiques qui encadrent le mouvement des plantes et des champignons.
Sixième temps. Vue. Je crois que je n'avais jamais remarqué ça : les radeaux "explosent" d'un coup ! Je m'explique : quand vous avez de la mousse dans votre bain, les bulles éclatent les unes après les autres, et pas toutes ensembles, n'est-ce pas ? Et bien, dans la casserole, les bulles groupées sont crevées ensemble. C'est très bizarre de voir ces paquets disparaître brusquement, quand on s'attend à ce qu'ils se comportent comme de la mousse. L'éclatement d'une première bulle pourrait-elle déclencher celui de ses voisines ? Ou bien, y'a-t-il un paramètre (pression du gaz, temps passé à la surface) qui arrive simultanément dans toutes les bulles d'un groupe à une valeur critique qui les fait éclater ?
L'eau est chaude, je la verse dans la tasse. Il y aurait beaucoup à dire sur le processus d'infusion - mais j'arrête, et je savoure. Et puis, j'ai une idée de billet pour mon blog...
Un peu d'eau dans une casserole. J'allume la plaque - température maximale.
Quelques minutes s'écoulent.
Premier temps. Ouïe. Un léger sifflement, qui se fait de plus en plus insistant. Sifflement = son = oscillation de l'air. Qu'est ce qui la provoque ? Est-ce le métal de la casserole qui vibre, peut-être à cause d'un gradient de température entre le fond chaud et les bords encore froids, ou refroidis par l'eau ?
Deuxième temps. Odorat. Odeur animale - aurais-je oublié de nettoyer les plaques la dernière fois ? Est-ce que les molécules de gras sont juste vaporisées, ou subissent-elles une transformation ? Un bon sujet de cuisine moléculaire. D'ailleurs, une recherche Google ne m'apporte pas la réponse, mais m'oriente vers un compte-rendu de séminaire de gastronomie moléculaire. Ca a l'air passionnant, j'aimerais avoir l'occasion d'essayer un jour. Quelqu'un y a déjà participé ?
Troisième temps. Vue. En me penchant au-dessus de la casserole, je vois quelques petits filaments de très petites bulles. Ah, ça, je sais : l'élévation de la température rend le changement de phase liquide -> gaz favorable thermodynamiquement, mais la barrière énergétique est élevée : il faut "payer" la création de la surface de la bulle. Cet obstacle est beaucoup plus faible sur le contour d'une impureté (imaginez une bulle sur un mur : la surface est deux fois plus faible. Et bien, dans le creux d'une infractuosité, elle est encore plus petite). C'est pour cela qu'il faut essuyer les verres de champagne avec un torchon : les fibres déposées serviront de sites d'amorçage (de nucléation). Les colonnes de bulles viennent donc des éraflures au fond de la casserole.
Quatrième temps. Ouïe. Le sifflement est remplacé par un bouillonnement, on passe de l'aigu au grave. Les vibrations de l'air sont créées par les explosions des bulles qui crèvent la surface. La vitesse de crevaison, constante, dans une bulle de savon est donnée par le rapport entre la tension de surface et la viscosité, ça doit être pareil ici. Alors, pour l'eau, la tension est de 70mN/m2, la viscosité dynamique de, disons, 0,4 mm2/s, la densité de 1kg/dm3. On arrive à une vitesse d'ouverture de 0.2 m/s environ. Une bulle d'un millimètre met donc 6ms pour éclater. En Hertz, ça donne 175 Hz : un son plutôt grave. Pour les amateurs de belle physique, voilà un pdf pour tout savoir sur la "peau de l'eau".
Cinquième temps. Vue. Les bulles, de plus en plus nombreuses, se collent entre elle et forment des radeaux. Je me souviens que Mahadevan, un professeur de mathématiques appliquées d'Harvard, a expliqué le phénomène récemment, sous le nom de "Cheerios effect". Si vous voulez savoir pourquoi les céréales forment des radeaux à la surface de votre bol de lait (ou collent aux parois), c'est ici. Mahadevan fait certainement partie des scientifiques que j'admire le plus : il parvient à analyser, physiquement, mathématiquement, et numériquement, des phénomènes naturels beaux et amusants. Par exemple, il a donné les règles physiques qui encadrent le mouvement des plantes et des champignons.
Sixième temps. Vue. Je crois que je n'avais jamais remarqué ça : les radeaux "explosent" d'un coup ! Je m'explique : quand vous avez de la mousse dans votre bain, les bulles éclatent les unes après les autres, et pas toutes ensembles, n'est-ce pas ? Et bien, dans la casserole, les bulles groupées sont crevées ensemble. C'est très bizarre de voir ces paquets disparaître brusquement, quand on s'attend à ce qu'ils se comportent comme de la mousse. L'éclatement d'une première bulle pourrait-elle déclencher celui de ses voisines ? Ou bien, y'a-t-il un paramètre (pression du gaz, temps passé à la surface) qui arrive simultanément dans toutes les bulles d'un groupe à une valeur critique qui les fait éclater ?
L'eau est chaude, je la verse dans la tasse. Il y aurait beaucoup à dire sur le processus d'infusion - mais j'arrête, et je savoure. Et puis, j'ai une idée de billet pour mon blog...
5 commentaires:
Vraiment, je trouve que c'est un très bel article.
merci beaucoup. Moi aussi je l'aime bien - j'étais un peu déçu de ne pas avoir de commentaires. Sérieux, je m'étais fait fait toutes ces observations au dessus de ma casserole, et je me disais que ça plairait. Le tourment du blogueur... :-D
Pas mal l'article!!! Je pense que ma tisane ne sera plus la même à partir de maintenant. J’apprécie quand même l’approche…laisser libre son imagination ne peut que aider l’esprit scientifique
C'est vrai qu'il est chouette ce billet!
S'émerveiller devant les petits riens du quotidiens, c'est le début de la sagesse, non?
merci merci :-)
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