Penseur

mardi, février 06, 2007

Le réchauffement climatique : l’article du Monde qui désinforme

J’ai repris, toute honte bue, le titre de l’article du Doc, pour l’adapter à la prose de Serge Galam, qui nie l’effet de l’activité humaine dans le réchauffement climatique. Après Claude Allègre dans l’Express, c’est la deuxième fois qu’une telle tribune est offerte aux avocats de cette cause. Ce deuxième papier va cependant bien plus loin : accumulant les clichés, Serge Galam compare les scientifiques aux nazis, aux communistes, et aux bourreaux de l’Inquisition. Tout un programme.

L’ancien ministre, quand il a commis sa tribune dans l’Express, n’avait pas eu besoin d’être présenté. Il s’est complètement discrédité dans l’affaire, mais cela n’a pas empêché Serge Galam de se lancer dans l’aventure. N’ayant pas été ministre, et étant donc moins connu, il est peut-être bon de parler d’abord un peu de lui.

Serge Galam est chercheur à l’Ecole Polytechnique en épistémologie appliquée, et est physicien au CNRS. La conjonction de ces deux domaines donne un champ d’étude très intéressant, où les comportements collectifs sont analysés d’un point de vue physique : par exemple, il a été souvent question de la façon de modéliser le processus d’adhésion à des réformes[1]. Une requête sur ISI – Web of Science (un moteur de recherche pour publications scientifiques) avec le mot-clé « Galam » retourne un certain nombre d’articles basés sur son modèle de comportement individuel des citoyens, qui propose une interprétation sociophysique des résultats serrés (environ 50-50) auxquels nous ont habitués les élections présidentielles récentes. Notons, cependant, qu’il n’y a aucune référence à la climatologie : ainsi, nous pourrions nous attendre à ce que, quand Serge Galam parle du réchauffement climatique, il s’interroge sur la diffusion de l’idée dans l’opinion publique, le seuil critique au-delà duquel les politiques joignent le mouvement, ou encore l’inertie des larges sociétés par rapport à la réactivité de petits groupes. En bref, qu’il l’interprète en sociophysicien, position où son expertise est parfaitement reconnue, y compris par ses pairs au niveau international.

Relisons maintenant l’article : à part un très court passage[2] qui peut, de loin, s’y apparenter, il ne s’agit pas de sociophysique, mais d’une charge générale contre les climatologues, le GIEC, et tous ceux qui parlent des conséquences prévues de l’activité humaine sur le climat et des façons d’y remédier. Et il n’y va pas avec le dos de la cuillère.

Serge Galam commence par qualifier le GIEC de grand-messe qui a canonisé l’hypothèse de l’intervention humaine dans le réchauffement climatique. Le vocabulaire religieux n’est pas innocent, il s’en resservira.

Ensuite, dans un paragraphe déroutant, il se place dans l’hypothèse que le réchauffement n’est pas d’origine humaine : les efforts du GIEC et des écologistes à la Hulot nous placeraient alors dans une impasse dramatique, qui aboutira à la disparition totale de l'espèce humaine. Rien de moins ! Et pourquoi ? C’est là que le raisonnement devient vraiment beau : c’est que les ressources que nous affectons à la recherche sur le climat (immenses, à n’en pas douter) nous priveraient de la possibilité de démultiplier la recherche fondamentale et appliquée des moyens qui nous permettraient de vivre indépendamment des conditions climatiques (même au prix de risques écologiques et éthiques accrus). Vous ne rêvez pas : un physicien reconnu nous avertit, dans un journal de (moins en moins de) référence, que quelques centaines de climatologues nous empêcheraient de brûler du pétrole pour monter le chauffage ou la clim’ en cas de variation du climat. Et encore, je n’arrive même pas à mettre de mots sur les « risques éthiques » dont il parle. Je n’ose (allez si, j’ose) pousser jusqu’à répéter que ces climatologues, s’ils se trompaient en pensant que le réchauffement est d’origine humaine, nous orienteraient avec un tel contrôle qu’ils provoqueraient l’extinction de l’espèce humaine. Quelqu’un de volontaire pour lui dire qu’ils ont si peu d’influence qu’ils n’arrivent pas à faire changer les politiques même en ayant l’appui d’un économiste ?

Il s’embarque ensuite dans quelques considérations sur la science en général, et la climatologie en particulier, qu’on a déjà entendu, et combattu, mille fois. La seule différence étant que d’habitude, on a plus l’habitude de les lire sous la plume de pseudo-scientifiques payés par Exxon. La science, selon lui, constate à la fois un réchauffement avéré et une augmentation de la quantité de CO2 dans l'atmosphère, un point c'est tout. Vouloir relier les deux constatations dans une relation de cause à effet, sous le prétexte qu'elles sont corrélées dans le temps, n'a présentement aucune base scientifique. Il suppose donc que les climatologues n’ont rien fait d’autre, depuis plusieurs décennies, que tracer un diagramme avec la concentration de CO2 en abscisse et la température en ordonnée, y porter les mesures montrant une corrélation, s’asseoir en cercle autour, discuter, et pondre un rapport de quelques centaines de pages mettant en danger la survie de l’espèce humaine.

Je ne veux pas trop parler ici des modèles toujours plus affinés, des simulations toujours plus poussées qui en sont tirées, et des données expérimentales toujours plus précises auxquelles elles sont mesurées. Je me contenterai seulement du premier d’entre eux, juste pour montrer qu’écrire aucune base scientifique est une malhonnêteté. Il a été proposé au 19ème siècle, je crois, et se base sur un simple bilan d’énergie. Un schéma est disponible ici. La Terre absorbe l’énergie des radiations du Soleil, se réchauffe, et émet en retour un rayonnement infrarouge. Les gaz de l’atmosphère, l’eau par exemple, absorbent une partie de ce rayonnement, se réchauffent, et piègent l’énergie sur Terre. Le CO2 fait partie de ces gaz qui absorbent dans l’infrarouge : tirer une relation de cause à effet est donc légitime, voire évident[3].

Il continue avec l’habituel baratin sur les incertitudes de la science : tout ce qu’il dit est certainement très vrai, mais il oublie, par mégarde, de mentionner que cette incertitude est quantifiable. Les climatologues prennent en compte les marges d’erreur dans leurs résultats, ce qui explique la fourchette de température que le GIEC présente. D’ailleurs, l’incertitude sur le comportement humain est bien plus importante que les autres paramètres, d’où les différents scénarios présentés (allant de « optimiste » à « les Africains et les Inuits rattrapent le niveau de vie américain »). La meilleure partie de cette partie sur les incertitudes des modèles reste tout de même l’argument-choc « la météo se trompe tout le temps, alors il est impossible de prévoir le climat à long terme ». Même dans un café du commerce, il y aurait peut-être quelqu’un pour rappeler que météorologue et climatologue, ce n’est pas le même métier[4].

Ensuite, du café du commerce, on passe aux forums Usenet. Généralement, dans les groupes de discussion conspirationnistes ou ufologues, il y a toujours certains intervenants pour comparer Galilée à l’inventeur incompris du moteur à mouvement perpétuel et les scientifiques (dogmatiques) aux inquisiteurs espagnols. Parfois, quand la polémique va loin, il n’est pas impossible de trouver des références aux nazis.

Ici, Serge Galam n’hésite pas et sort l’artillerie lourde : j’ai beau être familier de ce genre de trash, je n’avais jamais vu une telle concentration de lieux communs !

  • Galilée (lorsque Galilée a conclu que la Terre était ronde, le consensus unanime était contre lui),
  • les nazis (à l'époque nazie la théorie de la relativité fut rejetée, estampillée comme une théorie juive dégénérée, avec à l'appui une pétition de grands scientifiques de l'époque, qui signaient du haut de leur autorité établie),
  • Einstein (Einstein aurait alors dit que des milliers de signatures n'étaient pas nécessaires pour invalider sa théorie. Il suffirait d'un seul argument, mais scientifique),
  • les sociétés primitives (comme dans les temps anciens, les nouveaux prophètes nous annoncent la fin du monde[..] Pour calmer la "nature", ils demandent encore des sacrifices, heureusement non vivants, mais matériels),
  • et les communistes, ajoutés au récapitulatif final, au cas où on aurait mal compris (nazisme, communisme, Inquisition).

Il est hors de question de répondre aux allusions sur les nazis, les communistes, ou les prophètes, elles sont trop mesquines.

Rappelons par contre que Galilée et Einstein avait construit une théorie scientifique explicative, et que c’étaient leurs adversaires, théologiens[5] et nazis, qui n’en avaient pas. Ici, la position est singulièrement renversée : si Serge Galam n’est pas d’accord avec l’influence humaine dans le réchauffement climatique, il n’a besoin que d’un seul argument, mais scientifique. Pas d’attaques dignes de forums ufologistes ou conspirationnistes.

Et pour finir, laissons-lui la parole : il faut rappeler que la preuve scientifique n'a pas besoin de l'unanimité pour exister, elle s'impose par sa simple existence. Effectivement. Et le fait qu’après plusieurs dizaines d’années d’études et de contre-propositions, toutes les théories alternatives à la responsabilité humaine aient été écartées, pour ne laisser que ce genre d’attaques, en est une illustration parfaite.

EDIT du 8 février : grâce à un lecteur sur Agoravox, je retrouve la source de la théorie de l'effet de serre : Arrhenius, au XIXème siècle.

[1] Et certaines personnes n’étaient pas d’accord avec lui, d’ailleurs.

[2] C'est alors la culture ambiante qui va faire le gros de l'explication en comblant les vides, par une harmonisation sémantique. Il s'agit en fait d'une recherche de non-contradiction avec les faits, plutôt que d'une explication unique, fondée sur les faits.

[3] Evident au sens que la relation de cause à effet vient spontanément à l’esprit. Cette relation n’est vrai « évidement vraie » et doit être testée et affinée : c’est ce qui se fait depuis maintenant 50 ans.

[4] La météo est une physique chaotique, difficile à prévoir avec précision, à l’échelle locale et à quelques jours. La science du climat est un système certes fortement non-linéaire, mais prévisible, au moins pour les valeurs moyennes. En tout cas, les deux choses sont très différentes : personne n’utilise les modèles météos sur des échelles de dizaines d'années. Que l’auteur se fourvoie à ce point est surprenant, mais n’est rien comparé ce qui suit.

[5] L’allusion à ‘théologiens à l’époque’ = ‘docteurs’, ‘scientifiques aujourd’hui’ = ‘docteurs’, donc ‘scientifiques aujourd’hui’ = ‘théologiens à l’époque’ est un des pires sophismes que j’ai jamais lu.

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Pour résumer, cet monsieur prétend qu'il n'y a "aucune base scientifique" à la responsabilité des émissions anthropiques de gaz à effet de serre sur le changement climatique.
Que font donc les climatologues, des cocottes en papier ??
On devrait pouvoir être viré du CNRS pour des propos pareils, faux et insultants, ainsi que pour "usage abusif du titre de scientifique".
Mais je ne sais pas qui il faut blâmer le premier, de l'auteur ou du journal, pour un tel morceau de honte.

Matthieu a dit…

s'il doit être jugé sur sa production scientifique, je pense qu'il est plutôt à l'abri (je n'en sais rien, en fait, juste un coup d'oeil à ses publications). Ce papier est assez honteux et j'espere qu'il sera grandement discrédité (d'autant que ses collègues des labos de météo/climato de Polytechnique, parmi les meilleurs de France, ne vont peut-etre pas bien le prendre !).

Mais là ou je suis vraiment déçu, c'est que le journal Le Monde publie un article comme celui-là... A côté de ça, l'article d'Allègre est une aimable plaisanterie.

Anonyme a dit…

Bonjour,

Ce qui m'étonne, c'est que Galam utilise tous les poncif de la rhétorique pseudo-scientifique, de l'argument Galilée (1) au corollaire de Huyguens (2).
Une chose encore, étant psychologue social, je trouve assez particulier l'idée d'une socio-physique, les êtres humains ne sont pas de la matière inerte, et je doute que la physique puisse modéliser un comportement irrationnel et motivé. Mais ceci n'est que mon avis de spécialiste de la psychologie de groupe. :)

Bonne soirée.

Fabrice
(1) Argument Galilée : L'argument Galilée consiste à la tendance qu'ont certains pseudo-scientifique à comparer leur art, voire à se comparer eux-mêmes, à Galilée l'incompris, déclarant que tout comme on dit que les pseudo-scientifiques se trompent, ainsi était considéré Galilée par ses contemporains, donc ils ont, toujours comme Galilée, raison. CQFD. La conclusion pourtant ne s'impose pas. Le refus de la théorie de Galilée venait de la religion établie qui préférait la pseudoscience aux découvertes gênantes de Galilée.

(2) Corollaire de Huyguens à la Loi de Godwin : La loi de Godwin est une extension du Reductio ad Hitlerum faisant partie du folklore Usenet. En 1990, Mike Godwin énonça la règle empirique suivante : « Plus une discussion sur Usenet dure longtemps, plus la probabilité d'y trouver une comparaison avec les nazis ou avec Hitler s'approche de un ». Le corollaire de Huygens précise que la probabilité qu'un intervenant cite Hitler ou Nazi dans une discussion sans rapport direct et à fort contenu idéologique ou passionnel est inversément proportionnelle à sa capacité de défendre son opinion par des arguments recevables.

Matthieu a dit…

vous avez parfaitement raison sur vos deux regles, j'ai connu ca sur bien des forums. L'argument Galilee s'applique aussi aux inquisiteurs et a Einstein, dans un ebouriffant renversement de perspective.

quand a la loi Godwin : la mode est maintenant au point Eolas. Dans une conversation quelconque portant de pres ou de loin sur la politique francaise, la probabilite que "Sarko=facho" soit utilise par un participant tend vers 1 avec le temps. Galam aurait donc pu traiter le GIEC de sarkozyste.

Bruno Marion a dit…

Merci Mathieu pour cet article. Il m'a permis de répondre à mes amis qui m'avais envoyé l'article du Monde..

Peut-être que mon blog vous interressera (sur la "fratalisation" du monde...) www.brunomarion.net

Bruno.

Matthieu a dit…

Je suis heureux d'avoir pu être utile.

PS : Matthieu avec deux t :-)

Anonyme a dit…

Moi ce qui m'étonne c'est la vacuité de la culture scientifique de M. Gallam.
La rotondité de la terre est un fait connu depuis l'antiquité, probablement dès 500 aJC. Plusieurs philosophes grec avaient calculé sa circonférence: Aristote (384-322 aJC) a trouvé 58 600 km, Archimède (287-212 aJC) 44 000 km et enfin Eratostène (276-195 aJC) 36 960 km, soit moins de 8% d'erreur.
Galilée n'était-il pas au courant des voyages de Colomb et Magellan?
Impressionant pour un directeur de recherches! Que fait la section 05 du Comité National de la Recherche Scientifique?

Matthieu a dit…

Vous avez bien sur raison, mais le fait que la rotondite de la Terre ait ete prouvee ne signifie pas que cela soit connu au moyen age (les pauvres, ils n'avaient pas les archives de Nature et Science a leur disposition). Il ne faut peut-etre pas transposer nos connaissances a l'epoque.

Je ne sais pas vraiment si le cote iconoclaste des theses de Galilee etait le fait que la Terre tourne autour du soleil, ou que la Terre soit ronde. Dans tous les cas, amener cet argument dans le debat est de la mauvaise foi pure et simple.

Jenny Beuve a dit…

Je ne suis une scientifique mais que dire alors se telle reportage?
http://video.google.com/videoplay?docid=-4520665474899458831&hl=en

Jenny Beuve a dit…

Je ne suis une scientifique mais que dire alors se telle reportage?
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