Toutes les disciplines ont leurs "figures imposées", des thèmes qui reviennent à la fin de chaque publication sous la forme de notre découverte est un pas important vers..., généralement dans le but de justifier l'argent utilisé. En biologie, c'est la lutte contre le cancer, en neurosciences, c'est la maladie de Parkinson qui tient la corde, et en physique, le must, c'est l'ordinateur quantique.
Et bien, une start-up fondée en 1999, D-wave, a annoncé il y a quelques jours avoir réalisé le premier ordinateur quantique. Ce pas de géant technologique suscite l’enthousiasme, mais la communauté scientifique attend d’en savoir un peu plus sur le plan technique pour se prononcer.
Alors, de quoi parle-t-on quand on dit ordinateur quantique ? Qu'est-ce que ça va apporter, quels sont les problèmes à résoudre ? Parler d'ordinateur quantique emmène rapidement vers des concepts de physique très compliqués, mais je vais essayer de rester aussi clair que possible.
La première idée importante en physique quantique, c'est que les propriétés des systèmes (atomes, électrons) sont quantifiées (d'où le nom de quantique, bien sûr). Par exemple, l'énergie d'une particule confinée dans un puits ne peut prendre appartenir qu'à un ensemble discret de niveaux, plutôt qu'à l'ensemble continu dont nous avons l'habitude à notre échelle. Une analogie à notre échelle serait de dire que vous ne pouvez pas placer une pomme à n'importe quelle hauteur, mais seulement par terre, sur le tabouret ou sur la table. Une propriété quantifiée souvent utilisée dans la recherche sur l’informatique quantique est le spin (une propriété purement quantique) qui ne peut prendre, pour un électron, que les valeurs +1/2 ou -1/2. Une notation abrégée est + ou -, mais l'on pourrait tout aussi bien parler de 0 et de 1 comme en informatique classique.
Une deuxième idée est la superposition d'états. Le chat quantique de Schrödiger peut être à la fois vivant ET mort, le spin peut être à la fois + ET -. Seule la mesure, qui donne + OU - avec une certaine probabilité pour chaque, permet de lever l'ambiguïté. Par analogie avec un bit d'information (1 ou 0), cet état intriqué (+ avec la probabilité p+, - avec la probabilité p-) est appelé q-bit. C’est la première raison d’être intéressé par l’informatique quantique : l’information n’est plus limitée à 2 valeurs, mais peut s’établir dans un continuum.
Troisième idée dont nous devons parler dans ce tour d'horizon à marche forcée de la physique quantique, l'intrication. Quand je prépare un couple d'électrons, ou plus généralement un couple de q-bits, j'ai accès à 4 états : les états ++, --, + pour l'un et - pour l'autre, et inversement, que l'on peut noter +- et -+. Par superposition, il est alors possible de créer la pair dans un état dit intriqué, +- ET -+ (voire même +- ET -+ ET ++ ET --), chacun avec une probabilité associée. On touche ici à un des paradoxes les plus subtils de la mécanique quantique, le paradoxe EPR. Mais pour ce qui nous intéresse ici, l’ordinateur quantique, il faut se rendre compte que ces états sont des flux d’information, capables de subir en parallèle des opérations.
En effet, supposons qu'il soit possible de lire les q-bits, et de réaliser des opérations sur ceux-ci. Par exemple, il faut imaginer un processeur capable de lire --+ et -+- (1 et 2 en binaire) et d'émettre -++ (3) en sortie : il serait capable de faire des additions. Cette opération, qui n’est pas une mesure mais une évolution physique, s’applique à tous les états intriqués en même temps. Ainsi, la spécificité de l'ordinateur quantique est de présenter une puissance de calcul augmentant avec le nombre d’états disponibles, c’est-à-dire exponentiellement avec le nombre de q-bits utilisés.
Les applications de cette puissance de calcul se trouvent dans les problèmes dits "NP" (problème non-déterministe polynomial), dont la complexité augmente elle aussi exponentiellement avec la taille du système. Presque toutes les sciences présentent ce type de problèmes : dynamique chaotique, analyse de données, structure des protéines, cassage de codes... Notons toutefois que les contraintes, dont je vais parler, qui pèse sur l’architecture de l’ordinateur quantique, font qu’il sera probablement moins performant qu’un ordinateur classique dans un grand nombre de tâches usuelles.
Après avoir vu les enjeux, passons aux obstacles, et essayons de voir comment D-Wave les a, semble-t-il, résolus.
Les premiers sont de nature physique : il faut concevoir des moyens de manipuler des atomes ou des électrons, et de lire et d'écrire leurs états quantiques. Ce n'est pas une mince affaire, mais de nombreux groupes de recherche travaillent dessus, et quelques techniques ont été proposées. D-Wave utiliserait une puce appelée Orion, capable de manipuler 16 q-bits (le précédent record était de 7), couplée avec une architecture traditionnelle qui simplifierait le travail des concepteurs.
Ensuite, il faut éviter à tout prix la décohérence : à la moindre interaction avec l'environnement, le paquet de q-bits se désolidarise, chaque q-bit redevient indépendant. Au lieu de +- ET -+, on se retrouve avec +ET- et -ET+, et il devient impossible de faire des calculs sur ces éléments indépendants. Orion, qui est refroidi à l’hélium liquide, fait circuler ses électrons dans du niobium rendu supraconducteur par un refroidissement à l’hélium liquide : on est encore loin des conditions grand public.
Il semble bien que les capacités des informaticiens à utiliser un ordinateur quantique soient tout aussi limitées que celle des physiciens à le construire. La prouesse de D-Wave doit donc être jugée à cette aune : avoir réalisé ce que tout le monde attendait pour dans 10 ou 20 ans, en concentrant des idées novatrices pour surmonter des obstacles autrefois jugés insurmontables. Les enjeux sont si formidables qu’il est difficile d’imaginer les révolutions qu’un tel outil pourrait permettre dans le monde scientifique. Si la validité de la technologie employée est validée avec le temps, il faudra se souvenir du 13 février comme de la première démonstration publique d’un ordinateur quantique !
EDITION : dans la partie sur l'addition par le processeur quantique, il faut garder à l'esprit qu'il s'agit des probabilités associées aux états d'entrée et de sortie qui évoluent. Ainsi, lors de la mesure, c'est l'état représentant la somme qui serait le plus probable.
2 commentaires:
C'est marrant, tout cela me fait beaucoup penser aux espoirs fondés sur la supra à haute température critique. Il y a dix ans, tout le monde espérait qu'on arriverait assez vite à faire de la supra à température presque ambiante (et donc à s'affranchir des contraitnes techniques). J'ai l'impression que c'est un peu la même chose pour les ordinateurs quantiques : je ne vois pas comment pratiquement on peut facilement empêcher la décohérence... Espérons qu'on trouvera la solution (contrairement à la supra).
et bien, je dirais que les ordinateurs quantiques seront limités, pendant un bon bout de temps, à des utilisateurs institutionnels, justement ceux capables de maintenir la supraconductivité du circuit. le PC quantique n'est pas pour demain ! lors de la démonstration, l'ingénieur se connectait à distance et faisait faire les calculs à la puce : allons-nous vers un temps de calcul partagé de l'ordinateur quantique ?
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