Penseur

jeudi, janvier 04, 2007

Dynamic Days (2) : Croisade quantique et superfluide

Pfiouu, deuxième jour des Dynamic Days… Manque de sommeil, manque de café, sujets ardus : la journée fut longue. Commentaire à chaud : la mécanique des fluides est un des domaines les plus difficiles que je connaisse, et un Français qui parle avec un accent à couper au couteau, à l’heure de la sieste, c’est dur (et si c’est dur pour moi, j’imagine pour les non francophones…). D’un autre côté, je pense que j’ai pour quelques semaines de sujets de billets !

Ce dont je veux parler en premier, c’est de l’idée assez iconoclaste de David Roberts, qui voudrait bien révolutionner un peu le monde des superfluides. Il pense que l’effet Casimir peut donner lieu dans les superfluides à une traînée (les explications arrivent, pas d’inquiétude), ce qui est presque contradictoire avec la notion de superfluide. Il a bien du mal à convaincre la communauté, et comme j’ai été plutôt emballé, je veux apporter ma petite pierre à l’édifice. Evidemment, le fait qu’il soit un type très sympathique et abordable, qu’il aime Paris, et que le pain français lui manque aux USA, n’a pas influencé mon objectivité scientifique légendaire.

Ok, je sens que ça va être dur… Vulgariser la force Casimir dans les superfluides, c’est pas évident, d’autant que j’ai un livre passionnant sur le feu. Je vais essayer de définir les termes, de donner des liens vers Wikipédia, et de poser le problème, et si un point n’est pas clair, on en discute en commentaires, d’accord ?

Alors, la force Casimir, c’est un effet purement quantique qui s’exerce entre deux plaques très proches dans un vide poussé. Le vide n’est jamais totalement vide : le champ électromagnétique n’est jamais nul et oscille toujours un peu, de la même façon que le principe d’incertitude d’Heisenberg empêche de connaître absolument à la fois la position et la vitesse d’une particule. Ces fluctuations, appelées l’énergie du vide, se produisent aléatoirement à n’importe quelle longueur d’onde. Toutefois, entre les deux plaques rapprochées, les plus grandes longueurs d’onde sont bloquées : cette faible énergie manquante équivaut à une différence de pression, qui pousse les plaques l’une contre l’autre (la force est très faible, bien sûr).

Les superfluides sont une espèce exotique qui, à très basse température, ne présente aucune viscosité, une conductivité thermique et une conductivité électrique infinies. Le fluide est (idéalement totalement, en réalité localement) un condensat de Bose-Einstein, dans lequel tous les atomes partagent le même état électronique fondamental. En fait, à ce niveau, le fluide n’est plus qu’un gros atome totalement délocalisé. L’hélium est l’exemple classique, mais des analogues dans des gaz dilués peuvent aussi être utilisés.

Dans la théorie classique de Landau, les superfluides, pour peu que la vitesse du fluide soit inférieure à une certaine vitesse critique, ne subissent aucune force capable de faire passer les atomes, à la suite de chocs par exemple, de leur état d’énergie minimale à un état d’énergie supérieure. Cet argument simple montre qu’il n’y a pas de dissipation d’énergie : un superfluide peut réaliser un mouvement perpétuel, même s’il y a un obstacle à contourner sur son chemin.

L’idée de David Roberts, c’est que les fluctuations quantiques, négligées dans la théorie de Landau, sont légèrement dispersées lors du contournement de l’obstacle. Cela donne naissance à une force de traînée qui ralentit le fluide. Ainsi, contrairement à la théorie commune, un superfluide qui rencontrerait des impuretés sur son chemin finirait par s’arrêter !

David Roberts a quelques atouts de son côté : des calculs assez convaincants (suffisant en tout cas pour mes maigres connaissances en physique quantique), un mécanisme cohérent avec un phénomène connu, et une équation finale analogue à celle utilisée dans l’effet Casimir. La plupart des physiciens quantiques, et des mécaniciens des fluides « traditionnels », n’ont pas de problèmes particuliers avec sa théorie. C’est du côté de la communauté des physiciens des superfluides que ça coince : à quelques exceptions près, l’accueil est plutôt négatif. Après tout, c’est presque la définition de la superfluidité qu’il remet en cause, et les expériences habituelles semblent lui donner tort[1] !

Je ne veux pas préjuger de la valeur des uns et des autres : j’essaie farouchement de combattre les préjugés trop répandus des « scientifiques qui conspirent dans leur tour d’ivoire contre les idées nouvelles pour protéger leur dogme ». Entre l’intuition d’un post-doctorant, et une théorie bien développée concordant avec les expériences, s’il fallait faire un choix, il serait vite fait. Mais heureusement, David Roberts n’est pas un de ses farfelus dont les idées patascientifiques s’appuient surtout sur le préjugé précédent. Je lui souhaite donc du courage, pour persévérer dans ses recherches : s’il parvient à monter une expérience suffisamment précise pour montrer l’existence de cet effet, il parviendra à vaincre les réticences psychologiques et les conceptions communément admises.

PS : bon, je n'arrive plus à uploader des images sur Blogger... Snif.



[1] Sans rentrer dans les détails, David Roberts argumente que le mouvement perpétuel observé dans un courant cylindrique n’invalide pas son idée, car la dissipation des fluctuations quantiques d’un côté de l’obstacle est compensée après un tour, quand le fluide revient du même côté de l’obstacle. Ainsi, son effet serait visible dans un régime transitoire, avant la fin du premier tour, ou dans une géométrie linéaire.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Impossible pour moi de faire un commentaire scientifique, étant donnée mon incomptétence totale dans ce domaine (idem pour le premier billet).
Mais merci pour ces compte-rendus compréhensibles pour les non initiés: ces DDays sont décidément très intéressants! J'attends les prochains billets avec impatience!

Matthieu a dit…

à vrai dire je ne m'attendais pas à des commentaires techniques, le sujet est pointu (je ne le maitrise pas non plus). Je pensais soit ne pas avoir de commentaires, soit des attaques contre les méchants scientifiques. Merci de m'avoir détrompé par votre commentaire aimable !