Penseur

lundi, décembre 11, 2006

Déconseillé aux âmes sensibles

Bon, voilà, si vous êtes arrivés ici via le C@fé des Sciences, et que vous n’avez pas un écran trop grand, vous avez peut-être encore une chance de fermer cette fenêtre. Si vous lisez ces lignes depuis la page d’accueil du blog, vous avez toujours le choix de ne pas cliquer sur « lire la suite ». Les images qui vont suivre ne sont pas très belles à voir, et les histoires qui vont avec ne sont pas plus réjouissantes. Elles sont malheureusement bien réelles. Elles m’ont bien déprimé hier soir, et, même si je tenais à en faire un message sur ce blog, je vous laisse le choix de ne pas gâcher votre café du matin ou votre tisane du soir. C’est comme le mendiant dans la rue : vous pouvez faire semblant de ne pas le voir.







Descendez encore un peu…






Encore un peu…








Alors voilà. Ce week-end j’ai travaillé sur un projet autour du thème de la dépollution de l’eau empoisonnée à l’arsenic au Bangladesh. A la fin de la rédaction du rapport, j’ai googlé un peu quelques images, pour illustrer. Pour faire joli. C’est sur que quand on réfléchit, abstraitement, à l’adsorption de l’arsenic sur de l’hydroxyde de fer III, on reste finalement assez loin de se rendre compte de la situation réelle.



L’arsenic a empoisonné l’eau du Bangladesh dans les années 70, quand, pour répondre à la demande croissante, on a commencé à creuser des puits qui ont révélé à l’air libre un certain type de minéral appelé pyrite. Oxydé par l’air, il génère de l’arsenic, qui se retrouve ensuite dans l’eau de boisson. La concentration en arsenic dans l’eau bue chaque jour par les quelques 18 millions de Bangladeshi concernés est parfois aussi haute que un pour mille (une molécule d’arsenic pour mille molécules d’eau), quand la concentration recommandée par divers services de santé est entre dix et cinquante pour un milliard. Je fais le calcul pour vous : dix mille fois trop.


L’empoisonnement chronique à l’arsenic provoque, entre autres joyeusetés comme le cancer, une forme de gangrène appelée « pieds noirs ». Les photos parlent pour elles. Le visage et les mains se couvrent aussi de points noirs, et l’empoisonnement se double alors d’une catastrophe sociale, les jeunes femmes ainsi défigurées ne peuvent plus trouver de maris.


De la pollution à l’arsenic, il y en a aussi dans certaines régions des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne ou de la France. Mais ces pays sont suffisamment riches pour se payer des usines de traitement, où l’arsenic est coprécipité[1] avec des produits comme du chlorure de fer III. Mais ce n’est pas une solution adaptée à un des pays les plus pauvres du monde. Comment les villageois pourraient se débrouiller avec la boue toxique qui est produite ? Ce problème des déchets est le même pour d'autres solutions chimiques, qui sont néanmoins intéressantes car peu coûteuses.

La solution viendra peut-être de l’hydroxyde de fer III. C’est un matériau solide, qui adsorbe (c’est-à-dire qui piège en surface) l’arsenic avec une grande efficacité. Les filtres à base de ce matériau font facilement chuter les taux d’arsenic des eaux les plus empoisonnées en dessous des seuils conseillés. Une fois que le matériau est couvert d’arsenic, il suffit de remplacer le filtre. Les déchets, solides, sont non ou peu toxiques, peu volumineux, et faciles à isoler.

Une solution commerciale qui existe déjà est à base de granules de taille millimétrique. Problème, le matériau de base, et donc le filtre, coûte assez cher. Cette première solution est donc impossible à généraliser à grande échelle, que la facture soit adressée aux villageois Bangladeshi ou à l’OMS. Pour réduire les coûts, et puisque tout se passe à la surface des granules, il faut augmenter la surface disponible par gramme de matériau. Cela signifie, concrètement, de réduire la taille des particules : plus une sphère est petite, plus le rapport entre sa surface et son volume, ou entre sa surface et sa masse, augmente. Et c’est là qu’entre en action les nanoparticules, qui sont ce que nous savons faire de mieux en la matière. Alors, que ceux qui veulent prendre des postures morales sur le principe de précaution, sur le danger on-ne-sait-jamais-donc-vaut-mieux-pas-y-toucher des nanoparticules, le fasse s’ils le désirent. Après tout, ce n’est pas eux qui sont empoisonnés.

Une première idée, du professeur Ashok Gadgil de Berkeley, est d’enduire des particules de fumée d’hydroxyde de fer. Le but est d’obtenir de petits filtres jetables, que le gouvernement, l’OMS ou d’autres organisations comme Médecins sans Frontières pourraient distribuer, un par jour et par famille. L’autre idée serait de recouvrir des matériaux poreux, type éponges, par des nanoparticules d’hydroxyde de fer. Ils constitueraient ainsi des filtres de plus grande taille, pour un village par exemple.

Tout cela prendra encore du temps, malheureusement. Et en attendant, les usines actuelles de traitement semblent bien inadaptées...


[1] C’est-à-dire que les deux produits séparément sont solubles dans l’eau, mais qu’en réagissant ensemble, ils forment un composé insoluble qui précipite au fond du bassin de décantation, formant une boue toxique qui est isolée.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Effectivement, c'est horrible...

tout rose, avec son strabisme convergent, ses longs bras et ses petites oreilles sournoises... il me fait froid dans le dos!

Blague à part, je me demandais quelle était la dose mortelle "foudroyante" d'arsenic, s'il en existe une, et combien on en trouve dans la pyrite de formule FeS.

Au passage, la pyrite a une couleur dorée métallique qui l'a fait surnommer "fool's gold". Quand on voit les dégâts que ça a fait d'aller la chercher sous terre, c'est presque un euphémisme.