Penseur

lundi, octobre 23, 2006

Nanotechnologies (suite)

Comme je le disais en commentaire de mon précédent billet, je n’ai pas mentionné les bénéfices actuels ou potentiels que notre société retire des nanotechnologies. Je ne l’ai pas fait car je pense que ces bienfaits n’ont pas à interférer avec le débat sur les dangers potentiels. Le danger est que les formidables accomplissements des nanotechnologies ne conduisent à minimiser, voire à masquer, les risques éventuels.

Rien ne m’empêche, cependant, de les décrire dans un autre billet. J’y suis d’autant plus poussé qu’en commentaire du même billet, Hulk a parlé de « l'irréalité des nombreux bénéfices qu'ils [les promoteurs des nanotechnologies] promettent de nous vendre », ce qui relève de la méconnaissance, au mieux. Je vais essayer de présenter quelques exemples de nanotechnologies, en mentionnant leurs applications actuelles ou en cours de développement. Rien d’exhaustif bien sûr, juste ce qui me passe par la tête, ce que je connais, où ce sur quoi je tombe en parcourant internet.

A tout seigneur tout honneur, et les rois des nanotechnologies sont les emblématiques nanotubes de carbones. La page Wikipédia qui leur est consacré est un bon début. Il s’agit d’un assemblage régulier d’hexagones dont chaque sommet est un atome de carbone, d’une façon telle que l’assemblage total est un tube cylindrique. Ils ont été découverts en 1991 par Sumio Iijima. Leurs propriétés sont fantastiques dans tous les domaines, et les applications suivent rapidement.

  • D’un point de vue mécanique, ils sont 200 fois plus résistants à la traction que l’acier, pour un poids 6 fois moindre à section égale. Ils servent d’ores et déjà à renforcer des matériaux polymères comme les plastiques.
  • D’un point de vue conductivité, ils conduisent mieux la chaleur que le diamant, et le courant électrique que le silicium. Des chercheurs d’IBM ont déjà réussi à produire un des plus petits transistors du monde avec des nanotubes. Si quelqu’un refuse les nanotechnologies par principe, sans autre argument, qu’il s’engage à ne pas utiliser l’électronique miniaturisée dans quelques années.

  • D’un point de vue électrique, ils peuvent servir de canons à électron extrêmement précis. Samsung et Motorola ont réalisé des prototypes d’écrans à nanotubes de carbones. Le détracteur du paragraphe précédent doit donc aussi, pour rester cohérent, ne pas prévoir d’acheter une télévision dernier cri.

  • D’un point de vue chimique, l’atome d’hydrogène porté par chaque atome de carbone peut être remplacé chimiquement par un groupe d’atome capable de remplir une fonction précise. Comme les tubes peuvent être constitués d’une seule couche d’atomes, on obtient un excellent rapport surface/volume. Des applications comme catalyseurs, par exemple pour réduire les pollutions des usines, des pots d’échappements, sont envisagées.


Autre exemple de nanotechnologie (quoique l’échelle soit plus proche du micromètre), il est possible de former une surface de polymères en les ordonnant minutieusement, de façon à alterner une surface hydrophobe et des pointes saillantes hydrophiles. Dans un environnement sec, la vapeur d’eau de la rosée du matin se condense facilement sur les zones hydrophiles, grossit, puis dévale le long de la surface hydrophobe, jusqu’à un collecteur, avant que le soleil ne les fasse s’évaporer. Les amateurs de Frank Herbert auront peut-être reconnu les pièges à rosée de Dune, mais il s’agit en réalité de l’imitation du scarabée de Namibie ! On imagine sans peine les possibilités pour alimenter en eau les régions désertiques.

D’une manière générale, tous les composants à l’échelle nanométriques offrent un rapport surface/volume avantageux, et sont donc intéressants pour tout ce qui est propriétés de surface, catalyse, propriétés optiques. Un revêtement de minuscules billes de d’oxyde de titane permet à Saint-Gobain de proposer des vitres auto-nettoyantes. Des revêtements anti-reflets, anti-rayures, anti-buée, voir tout à la fois, existent aussi. J’espère que le contradicteur ne porte pas de lunettes.

J’ai bien envie de finir par quelques applications biomédicales, car, comme je l’ai déjà dit, c’est le sujet chaud. L’assemblage d’une solution de peptides pour former un maillage biodégradable qui arrête le saignement relève de la nanotechnologie : on en mesure les bénéfices quand on sait qu’une opération de transplantation nécessite une quarantaine de poches de sang donné. L’utilisation de billes métalliques de dimension nanométrique ou microscopique est répandue, en médecine de diagnostic ou dans la recherche en biologie et en médecine, pour servir de traceurs. Ces billes peuvent aussi être greffées sur des molécules organiques, typiquement des molécules bioluminescentes. Une application un peu différente de ces billes, mais tout aussi importante, est la possibilité de les diriger vers une tumeur cancéreuse. En effet, les molécules greffées sur ces billes peuvent aussi servir de « guide » biologique. Une fois sur place, les billes métalliques peuvent être chauffées par un laser réglé à une fréquence particulière, ce qui est un moyen non-invasif et efficace de détruire la tumeur !

Vous connaissez peut-être d’autres applications. Peut-être aussi n’êtes-vous pas convaincu par ces opportunités et trouvez qu’elles ne suffisent pas à écarter les risques potentiels des nanotechnologies ? J’aimerais aussi avoir votre avis sur ces risques, justement. Quels sont les dangers auxquels vous pensez ?

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Matthieu, my simple concern about this technology is that it is completely uncontrollable. Admittedly one can see many wonderfully life-enhancing uses for nanotech, but, unlike many of the tech revolutions of the past there can be no real way of stopping or even monitoring nanotech being used in a malicous way. You, I or anyone so willed could and can start making nantech based tools and weapons in you garage or shed tomorrow. If you don't believe me try googling "Westinghouse Award" ca 2000 - a 15 year child constructed his own scanning tunnelling electroscope using LEGO and parts bought from Ebay. An STM can accurately manipulate structures at the atomic level and once that is possible there is no end to what can be acheived.

Matthieu a dit…

Hi ! I won't hide that I am glad to see a non french-writing commentator here. But still you can read french ?

Anyway, I don't get your point. What about a chemistry college student, perfectly able to create toxic products or explosives ? What about a biology grad student who can manipulate nice things like anthrax ? And if he does his PhD in genetics, he may be perfectly able to design a new kind of toxic bacilla. No need to be a genius awarded by Westinghouse.

And for the availability, chemical products and ADN sequence are readily available on Internet.

May I also point out that I can't see what dangerous piece of nanotechnology can be produced by an STM ? Scientists throughout the world manage to do only terrible things like writing the name of their university or designing a pattern on the surface. No nanobots, this is fantasy. For chemistry and biology, on the other hand, no need for too much imagination.

And, last but not least, do you really think that it is harder for police to keep an eye on someone who buys AFM parts on internet, rather than on someone who is doing chemistry at home ?

Once again, I repeat, there are some real concerns about nanotech... no need to add fantasy ones.

Anonyme a dit…

Hormis le renforcement des matériaux, les vitres de St Gobain et les "prototypes d'écran", voici ce que je lis :

des applications sont envisagées, on imagine sans peine les possibilités...

Donc oui, je rejoins Hulk, il s'agit bien de fantasmes symétriques aux fantasmes de la gelée grise et des nanomachines auto-réplicatrices. Et le pire c'est que ces scientifiques jurent qu'ils ne font pas de promesses !!

Quant aux billes métalliques et à la solution de peptides, ils ne relèvent pas de la nanotechnologie vue comme la manipulation par l'Homme de la matière à l'échelle de l'atome et sa convergence avec la bioinfo, les sciences cognitives etc. Dans le premier cas on utilise des billes micrométriques et dans le second cas, on a assemblé des acides aminés (bref, de la biochimie à l'échelle de la molécule — il ne faut pas se fier au communiqué de presse vendeur de la RSC).

D'ailleurs, à propos de ce billet et du précédent, je ne crois pas que la gelée grise ou autre soit vraiment n° 1 dans les arguments anti-nanotechnologies des groupes que tu qualifies d'obscurantistes (PMO, OGN etc.). Pour le grand public, à la rigueur, mais il me semble que ces militants sont bien plus informés que tu veux le laisser penser et s'en prennent surtout à la manière dont les nanotechnologies ont été imposées sans débat et à la gravissime collusion des intérêts militaro-techno-scientifico-politiques à Grenoble.

Matthieu a dit…

@Enro : la premiere partie de votre commentaire est absurde. Je répondais à Hulk qui accusait les nanotechnologies de n'etre que du vent et des promesses. J'y ai répondu en citant des applications concretes, ce que vous reconnaissez vous-meme. J'y ai ajouté des perspectives de recherche, et des percées scientifiques dont il reste à réussir la mise en pratique, ce que vous qualifiez de fantasmes. Cela ne vous plait pas : voudriez-vous que tout soit deja trouvé ? reprocher à la science de chercher, c'est surprenant.

Ensuite, pour la derniere partie de votre commentaire : je ne denie pas la capacité des militants anti-nanotech à etre informés, intelligents, et à soulever de vrais problèmes. Mais le moins que l'on puisse dire c'est qu'un certain nombre n'en fait pas étalage, et prefere jouer sur la peur de la technologie diffuse dans la société depuis Hiroshima, Tchernobyl et la vache folle.

Et au conspirationnisme, pendant qu'on y est, dont vous faites un beau résumé. Ils s'en prennent à la manière dont les nanotechnologies ont été imposées sans débat. Faut-il un débat pour l'implantation de chaque centre de recherche ? Faut-il laisser les peurs diffuses des gens sur des technologies qu'ils ne comprennent pas bloquer la recherche ? La gravissime collusion des intérêts militaro-techno-scientifico-politiques à Grenoble, peut-être pourriez vous ajouter qu'ils sont pilotés en sous-main par des franc-maçons ou le lobby du pétrole ? Pour qu'un projet réussisse, il faut toujours qu'il y ait convergence d'intérêts entre différentes parties. Si vous criez à la collusion des élites qui veulent écraser les vraies gens à chaque fois, j'ai du mal à voir comment les choses pourront évoluer un jour en France...

Le site dont vous donnez le lien est édifiant. Je cite l'argumentaire principal : N'est-il pas rétrograde et naïf que de croire encore à une science qui ne viendrait que d'en haut, distribuée par des chercheurs tout-puissants à un public ignorant qu'il faudrait absolument éduquer ? Bien sûr, installons la science d'en bas, organisons des comités participatifs de citoyens pour élire la vérité scientifique. (mais attention, seulement ceux qui n'y connaissent rien et qui sont donc honnetes, car les chercheurs tout-puissants sont méchants). Ca me fait penser à Allègre qui veut faire de la science une démocratie, dans le Monde de vendredi.

Tout cela est déprimant...

Anonyme a dit…

Je suis désolé, je vais encore vous donner matière à déprimer.

Ainsi je trouve que les exemples que vous donnez sont plutôt des expériences de laboratoire et non des cas concrets "en situation", quand ils ne sont pas simplement spéculatifs : "il est possible", "on pourrait", etc. Je ne doute pas systématiquement qu'ils soient concrétisés à plus ou moins courte échéance et à plus ou moins grande échelle, mais je maintiens que les miracles promis restent intangibles, tout comme la boue grise et autres menaces.

D'autre part, je ne pense pas qu'il soit pertinent de discuter des coûts et avantages sur le plan purement technique (ce qui est vrai pour n'importe quelle technologie). Car à chaque fois qu'on rajoute une couche technologique, il faut adapter la société, ce qui n'a pas que des aspects positifs (en tous cas pas pour tout le monde). Voir le texte posté Deun sur ce forum.

OliverTwix a dit…

Bonjour, je viens de découvrir votre blog en cherchant des infos sur les nanotechnologies.

Je suis assez optimiste sur cette technologie, et je ne partage pas l'avis des commentateurs pessimistes. Comme pour toutes les technologies naissantes, il y a des couacs, il y a des erreurs, il y a de fausses promesses. L'homme n'a jamais rien conçu de parfait.
Je crois qu'avec la science, la question n'est pas de savoir si telle ou telle chose est possible, la vraie question est de savoir si on doit le faire. Avec le temps, tout est possible. Croyez-vous que dans 500 ans le monde ressemblera à celui d'aujourd'hui ?

Chacun doit se renseigner et faire le tri dans les informations. En 1980, le président Nixon avait prédit que la thérapie génique nous permettrait de guérir le cancer en moins de vingt années. On n'oblige personne à croire aux promesses, il faut s'en tenir aux faits.

Les menaces de la nanotechnologies ne sont pas pires, ni plus incontrôlables que ceux des technologies précédentes. Que proposez-vous d'autre, vous qui critiquez, qui avez peur ?
L'apogée de cette technologie, moi je la vois comme un passage obligé de l'histoire de l'humanité.