Via Tom Roud, j'apprends que Pierre-Gilles de Gennes est mort, vendredi dernier. J'ai un immense respect pour cette figure de la recherche française. Il a développé ce qu'on appelle la science de la "matière molle", tous ces états intermédiaires de la nature qui m'intéressent tant. Ce que j'appréciais particulièrement dans sa démarche, c'était l'interdisciplinarité qu'il insufflait partout. Je me souviens de mon enthousiasme juvénile à la lecture d'un magazine scientifique (peut-être Sciences et Vie...) où il était question des points communs qu'il avait trouvé entre le mouvement d'une bactérie dans un milieu riche en nutriments et celui d'un électron excédentaire dans un métal. C'était là son génie : il savait trouver des connections entre des domaines du savoir que tous imaginaient cloisonnés. Il n'était pas surnommé l'Isaac Newton moderne pour rien...
Il a donné ses lettres de noblesses à l'étude de phénomènes considérés avant lui comme un peu anecdotiques, ou trop complexes et mal définis, par les physiciens. Il a ainsi obtenu le prix Nobel de Physique pour l'application de la physique statistique aux cristaux liquides et aux polymères. Les cristaux liquides sont des molécules relativement rigides, des sortes de petits bâtonnets, qui peuvent s'agencer en structures relativement régulières. Les polymères sont de longues, très longues molécules, nous avions eu l'occasion de voir quelques-unes de leurs singulières propriétés. Pierre-Gilles de Gennes a montré que les cristaux liquides subissaient des transitions entre états "ordonnés" et "désordonnés" d'une manière analogue à l'aimantation dans les matériaux magnétiques. Pour ce qui est des polymères, il a apporté ce que l'on peut qualifier de principale avancée théorique dans le domaine depuis les années 60, avec son modèle de reptation. En suggérant que les chaînes polymères peuvent ramper pour se libérer des enchevêtrements et relaxer les contraintes, il a permis de comprendre le comportement mécanique des plastiques fondus, des colles et autres fluides complexes.
Il s'est intéressé à des sujets aussi variés que les bulles de savon, les phénomènes chaotiques ou les surfaces hydrophobes, et a co-signé avec David Quéré (un de ses "disciples", si je puis dire, qui incarne le mieux son esprit touche-à-tout et multidisciplinaire) et Françoise Brochard-Wyart, le livre "Gouttes, bulles, perles et ondes", qui fait référence dans le monde entier. Il a aussi dirigé l'Ecole de Physique et de Chimie Industrielle de Paris, qui est devenue une sorte d'OVNI (j'aurais aimé écrire "modèle") dans le paysage de l'enseignement supérieur français. Liant formation d'ingénieur de haut niveau, recherche fondamentale, et lien avec les entreprises, c'est un des centres de recherche français les plus connus à l'étranger. 90% des élèves ingénieurs qui en sortent continuent vers une thèse. Les labos sont largement financés par des contrats de recherche avec les entreprises, et rivalisent en qualité avec les plus prestigieuses universités américaines. Si ceux qui veulent réformer l'enseignement supérieur et la recherche en France voulaient bien se pencher cinq minutes sur ce que de Gennes a accompli...
Sa mort est une mauvaise nouvelle pour la science : alors qu'il venait juste de tourner ses formidables capacités d'analogie et de synthèse vers les sciences du cerveau, qu'aurait-il pu découvrir et nous faire découvrir ?
Il s'est intéressé à des sujets aussi variés que les bulles de savon, les phénomènes chaotiques ou les surfaces hydrophobes, et a co-signé avec David Quéré (un de ses "disciples", si je puis dire, qui incarne le mieux son esprit touche-à-tout et multidisciplinaire) et Françoise Brochard-Wyart, le livre "Gouttes, bulles, perles et ondes", qui fait référence dans le monde entier. Il a aussi dirigé l'Ecole de Physique et de Chimie Industrielle de Paris, qui est devenue une sorte d'OVNI (j'aurais aimé écrire "modèle") dans le paysage de l'enseignement supérieur français. Liant formation d'ingénieur de haut niveau, recherche fondamentale, et lien avec les entreprises, c'est un des centres de recherche français les plus connus à l'étranger. 90% des élèves ingénieurs qui en sortent continuent vers une thèse. Les labos sont largement financés par des contrats de recherche avec les entreprises, et rivalisent en qualité avec les plus prestigieuses universités américaines. Si ceux qui veulent réformer l'enseignement supérieur et la recherche en France voulaient bien se pencher cinq minutes sur ce que de Gennes a accompli...
Sa mort est une mauvaise nouvelle pour la science : alors qu'il venait juste de tourner ses formidables capacités d'analogie et de synthèse vers les sciences du cerveau, qu'aurait-il pu découvrir et nous faire découvrir ?
8 commentaires:
Merci pour ce point.
Y-a t'il eu ne serait-ce qu'un communiqué de Pécresse.
indawoods > Oui, non seulement de la Ministre Valérie Pécresse mais aussi du Ministre Xavier Darcos et du Président Nicolas Sarkozy !
j'ai cru voir passer Fillon aussi
Ok
Faut que je sorte de ma grotte manifestement
Merci pour ton article qui permet d'accrocher de façon intéressante à ses travaux. Du coup ça me donne une petite envie de découvrir le bouquin dont tu parles: "gouttes, bulles, perles et ondes"
Je ne peux que te le conseiller. Il est tres lisible, et explore des sujets variés.
Bonjour. Puis-je poster votre article sur mon blog, "le complot des papillons", où je tente de regrouper des articles et témoignages, en l'honneur de P-G De Gennes ? Ceci me permettra, aussi, de signaler votre excellent carnet... Merci à vous. Cordialement.
Vous pouvez, avec plaisir. Sous reserve bien entendu de mettre mon nom et un lien vers cette page, mais je suppose que c'etait votre intention.
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