Malgré le silence assourdissant sur ce blog, je m'intéresse à la question de l'attrait de la religion (quelle qu'elle soit), non pas pour les valeurs qu'elle peut défendre, mais dans ce qu'elle a de plus irrationnel. Pourquoi croyons-nous ? Pourquoi l'idée de Dieu est-elle si forte ?
Ainsi, je connais une personne, de très haut niveau d'études, qui m'a récemment déclaré "ne pas croire en l'évolution". Cette personne pense que la Genèse est une description factuelle de la création du monde. Comme l'hypothèse de la simplicité d'esprit ou de la crédulité ne peuvent être invoquées, il faut admettre que les idées religieuses ont un attrait suffisant pour supplanter les idées plus rationnelles. Cela me rappelle Why People Believe Weird Things, sur l'ufologie et le paranormal, de Michael Shermer, et en particulier le chapitre Why Smart People Believe Weird Things. Loin de moi l'idée de mettre sur le même plan l'ufologie et les religions sur le même plan : le rapport à la rationalité n'est pas la même (il y a un monde entre le conspirationnisme et l'histoire de Saint Thomas), et les valeurs véhiculées ne sont pas les mêmes. Mais, tout de même, les raisons d'y croire, par exemple le désir d'expliquer le réel y compris dans sa dimension inaccessible à la science, ou la croyance en un registre supérieur à l'expérience matérielle, permettent de dresser un parallèle. Et, dans les deux cas, si un mépris trop rapide tente de discréditer les croyants - la religion est l'opium du peuple, les ufo-believers sont des pigeons - un regard plus patient verra que les personnes les plus éduquées et les plus intelligentes dans les autres parties de la vie se laissent elles aussi séduire.
Un article du New York Times tombe fort à propos pour enrichir cette réflexion. L'auteur mentionne deux idées, qui ne sont pas forcément liées mais qui sont également intéressantes.
La première est que nous serions "câblés" (nos neurones seraient organisés par nos gènes) pour attribuer une intention à un mouvement, ou une cause à une conséquence. Ce qui pouvait être un avantage évolutif décisif, par exemple en attribuant le mouvement de hautes herbes à un prédateur, se révélerait être aussi une source puissante de superstition, quand il s'agit de trouver la cause d'un phénomène comme l'éclair, le feu, la vie, ou, pour aller plus loin, l'existence de l'univers. Chercher un agent responsable de la causalité pousse à croire aux dieux pour les phénomènes naturels, à un Dieu supérieur pour l'origine des choses, ou à des êtres venus de l'espace pour des bizarres petites lumières dans la nuit.
La deuxième est que la religion - au sens large, on pourrait y inclure la politique quand elle tourne au dogme - est bénéfique d'un point de vue évolutif. En apportant des réponses simples à des problèmes a priori insolubles, elle diminue le stress. En rassemblant les individus autour de rituels, elle soude les communautés. Les individus les plus aptes à "croire" aurait donc été sélectionnés par l'évolution.
Autant la première explication me semble pertinente, autant le deuxième me paraît contestable. Je pense que c'est typiquement ce que Richard Dawkins décrirait comme étant chercher à trouver une explication génétique à une sélection naturelle mémétique. J'ai développé cette argumentation dans ce billet sur la mémétique, mais, pour résumer, je dirais que je ne pense pas que l'idée de la religion puisse avoir une influence évolutive, les dogmes n'étant pas corrélés avec l'intérêt des gènes.
Quelle est votre expérience personnelle sur le sujet ? Avez-vous déjà discuté avec des gens dont les croyances heurtaient de plein fouet ce que vous considérez comme rationel ? Si vous êtes croyants, accordez-vous de l'importance aux rituels (je connais par exemple des personnes très pieuses qui vont prier à la messe mais qui ne participent à presque aucun autre rite catholique) ? Voyez-vous la religion comme un élément de la vie collective, ou comme une dimension personnelle ?
5 commentaires:
Personnellement, je pense que croire en Dieu, en l'horoscope ou en un politique relève de la même idée : celle qu'il est plus facile de croire que de se poser des questions.
Les questions sont sources de peurs (car questions == inconnues). Et quoi de mieux pour se rassurer qu'une réponse simple. De plus, le fait de penser que son destin est planifié à l'avance par un tout puissant ou par les astres, c'est rassurant.
Je connais des gens très cultivés pour qui l'horoscope a une vraie signification. Ils estiment les informations que ce dernier leur donne comme "toujours bonnes à prendre". Un peu comme le pari de Pascal : pour eux, ils n'ont rien à perdre à y croire.
j'ai un peu tendance a penser comme vous, instinctivement, mais je me dis que c'est une vision trop simpliste. les croyants ne sont pas que des simplets effrayes par les questions compliquees, et les athees ne sont pas que motives par la recherche de reponses.
Je trouve cet article très intéressant. Bergson avait aussi une autre explication : on ne supporte pas le hasard et on cherche derrière tout ce qui nous arrive et que nous ne maîtrisons pas une intention. Ce serait alors un besoin psychologique d'être visé en tant que personne, d'être connu…
Sinon, il y a des réflexions très intéressantes sur le lien entre religion et sciences dans l'excellent livre de Bruno Latour "Jubiler-ou les tourments de la parole religieuse". Je développerai ça un jour (pas tout de suite parce que ça me demande du temps) sur mon blog.
Ce que je trouve assez marrant ces temps-ci c'est que les athées, après avoir longtemps été plutôt "pacifistes" avec les croyants, dans l'esprit du NOMA de Gould, semblent redevenir assez brusquement militants... Peut-être à force de s'en prendre plein la figure sous l'administration Bush ? En tous cas, le dernier livre de Dawkins semble assez emblématique de ce phénomène, non ?
je ne sais pas, l'air du temps est peut-etre a une confrontation, effectivement. Si c'est le cas, c'est certainement du au regain d'activite des groupes religieux "dogmatiques", televangelistes et neo-conservateurs US, islamistes radicaux, etc... mais j'ai plutot l'impression que Dawkins s'est engage dans une croisade personelle, peut-etre utile, mais que je ne trouve pas tres interessante.
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