La matière noire, c’est la tarte à la crème de la physique moderne : tout le monde l’étudie sans avoir la moindre idée de sa nature. Tout comme l’éther au début du siècle dernier, une telle énigme est pleine de promesses pour les physiciens. La matière noire sera probablement un jour à l’origine d’une révolution scientifique comparable à la théorie de la relativité d’Einstein, soit par la découverte de ce qu’elle est, soit par la formulation d’une théorie plus générale qui expliquer les observations sans elle. Je vais essayer d’expliquer un peu ce que l’on entend par ces termes, puis je parlerai de l’article en lui-même.
La première observation astrophysique « bizarre » a été la distribution des vitesses des galaxies au sein des amas galactiques, beaucoup trop regroupée par rapport à la masse estimée de l’amas. Il y a eu, ensuite, l’impossibilité de faire coïncider la masse d’une galaxie estimée à partir de ses effets gravitationnels, et celle estimée à partir de sa luminosité : la deuxième est plusieurs dizaines ou centaines de fois trop faible.
Mais l’observation la plus choquante, car la plus précise, est venue de la distribution des vitesses des étoiles au sein d’une galaxie. D’après une des lois de Kepler, cette vitesse devrait décroître avec la distance au centre – elle s’avère, en fait, constante. Tout se passe comme si un halo de matière invisible s’étendait sur le pourtour de la galaxie, halo qui représenterait 90% de la masse de la galaxie !
D’un point de vue phénoménologique, la façon la plus simple de décrire ces différents phénomènes est une matière d’un genre inconnu, qui n’interagit pas avec les photons (la force électromagnétique), mais qui est soumise à la gravitation. Cette hypothèse est cohérente avec les différents points énoncés plus haut, avec son invisibilité, et résout même quelques autres problèmes. Par exemple, elle permet d’expliquer comment les infimes variations de densité de la soupe primordiale, après le Big Bang, ont pu évoluer si vite en galaxie et en amas : la matière noire aurait été là pour accélérer le processus.
Elle n’a que deux défauts, et pas des moindres. Le premier est, par définition, que personne n’a jamais vu un grain de matière noire. Personne n’a même jamais vu de traces de chocs avec la matière noire dans les accélérateurs de particules. Le deuxième est que la matière noire n’a aucune place dans le « Modèle Standard », la vision relativement claire que l’on a de la physique.
La page Wikipédia présente bien les approches correspondant à ces deux problèmes. La première famille d’explications correspond à des particules, soit des objets connus (nuages de gaz, neutrinos, trous noirs) mais pas encore détectés, soit des particules inconnues, de masse non nulle, n’interagissant pas avec les photons. La deuxième famille regroupe des théories alternatives au duo formé par Newton et Einstein, pour expliquer les effets observés sans avoir besoin d’invoquer de la matière invisible. L’état de l’art est le suivant : les programmes d’observation semblent prouver que les objets connus ne sont pas responsables, et les théories alternatives peinent à former un consensus (la théorie des cordes aurait même tendance à faire consensus contre elle).
L’article de Nature, donc, est la traque la plus large et la plus détaillée, à partir des clichés du télescope Hubble, de cette matière noire[1]. Les chercheurs (pas mal de Français dans le lot, au passage) ont cherché les lentilles gravitationnelles[2] dans une petite portion de l’espace (un degré d’angle dans chaque dimension transversale et une faible profondeur), car cet effet donne accès à la densité massique et est indépendant des hypothèses, ce qui est capital quand on ne sait pas ce que l’on cherche.
Après avoir analysé la forme d’un demi-million de galaxies, excusez du peu, ils ont réussi à produire la première carte de la matière noire à l’échelle d’un amas de galaxies, avec une haute précision et une bonne résolution, et, cerise sur le gâteau, à trois instants successifs dans le temps (souvenez-vous que la distance par rapport à
Ce travail, que l’on devine titanesque, va certainement avoir un rôle pratique capital en astrophysique. Il sera le premier étalon auquel seront mesurées les théories candidates sur la matière noire, et il servira aussi à bâtir des scénarios d’évolution de l’univers. Souhaitons-leur bonne chance.
[1] Les lecteurs attentifs auront compris « matière noire » comme « soit de la matière invisible et inconnue, soit un effet explicable par une théorie pas encore formulée », bien évidemment.
[2] Une lentille gravitationnelle est un effet purement relativiste, dans lequel l’attraction gravitationnelle de la matière courbe la lumière, comme dans une lentille de verre. Il est possible de repérer ces effets, et d’en déduire la masse ayant agi sur la lumière.
7 commentaires:
C'est vraiment incroyable cette histoire de matière noire. Entre parenthèses, cela montre bien que à quel point les manips sont importantes en physique (et donc à quel point il est dangereux de partir dans des extrapolations théoriques...)
il faut un peu de sdeux, je suppose...
C'est vrai que c'est passionnant!Ce billet tombe bien pour moi: je lis en ce moment "L'univers chiffonné" de JP Luminet, un ouvrage de vulgarisation très bien je trouve (sachant que je n'y connais rien de rien), et ce problème de matière noire y est abordé, avec les connaissances de 2004. Du coup, ça complète!
merci du compliment. De quoi par "l'univers chiffoné" ? de la topologie de l'univers ?
Exactement, de toplogie de l'univers. Il aborde les "grandes question", telles que la courbure de l'univers, les modèles d'évolution (expansion,expansion-contraction stable) de l'univers; est-il fini-infini etc...En prenant le temps d'expliquer un peu les différents modèles et théories proposées jusqu'à présent. Très bien, vraiment.
Navrée, je crois que je n'ai jamais fait autant de fautes de frappe en si peu de mots!
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