Penseur

dimanche, octobre 22, 2006

Nanotechnologies


Evidement, sur un blog qui a la prétention de parler de sciences, il était inévitable d’arriver au sujet des nanotechnologies. Ces technologies de l’infiniment petit sont aussi excitantes pour la communauté scientifique qu’elles sont inquiétantes pour de nombreux citoyens. Elles illustrent magistralement la coupure moderne entre la recherche scientifique et la sphère médiatique qui amplifie les doutes et les peurs. Elles pourraient, pourtant, être l’objet d’un débat plus apaisé.

Nucléaire, biotechnologies et OGM, nanotechnologies… La liste des domaines scientifiques source d’inquiétude pour certains citoyens s’allonge. Sous cette pression, le parlement a ajouté en février dernier, en grande pompe, le principe de précaution[1] à la constitution française. Ne pas avoir ajouté symétriquement un principe d’innovation me semble témoigner d’un grave blocage, d’une inquiétude diffuse et généralisée des Français face à la science, et d’un manque de dialogue avec la communauté scientifique. Les médias, en donnant beaucoup la parole au citoyen inquiet et en ne remplissant pas le rôle d’information et de décryptage qui est le leur, portent une responsabilité importante dans la situation.

J’en arrive spécifiquement au sujet des nanotechnologies. Les craintes sont de deux ordres.

La première relève principalement du fantasme et de la science-fiction. Il s’agit de la peur de voir un jour des nano-robots auto-répliquants, capables de tirer énergie et matériaux de construction de leur environnement, envahir la Terre. C’est le scénario « Grey Goo », qui s’applique aussi à d’éventuelles bactéries génétiquement modifiées. Cette crainte ne résiste pas à l’analyse. Je ne dirai pas ici que l’on est extrêmement loin du point où de tels robots pourraient être conçus : c’est vrai, mais je ne pense pas que ce soit un argument pertinent pour dissiper les inquiétudes sur l’avenir. Par contre, il faut noter que ces robots devraient être organiques, puisqu’ils ne seraient pas destinés à tirer leurs « pièces détachées » des roches et autres cailloux environnants. Et les nano-robots organiques, capables de se reproduire en exploitant le monde organique autour d’eux, existent déjà dans une forme probablement optimale, car sélectionnée par des millénaires d’évolution : les virus. Je pense que les formes de « grey goo » que l’Homme pourrait inventer seraient loin de leur efficacité. Michael Crichton avait utilisé le thème de nano-robots organisés en essaims, capable de reproduction, consommation, et mutations, dans son livre Prey : plutôt bien ficelé mais pas plus crédible que Jurassik Park du même auteur.

L’autre est plus crédible, et pour cette raison plus importante. Il s’agit de savoir si ces éléments de taille micrométriques ne pourraient pas être inhalés ou avalés. Le danger est qu’ils pourraient encombrer les voies respiratoires ou avoir des effets cancérigènes. Sur ce point, un certain nombre de questions doivent être soulevées par les différents acteurs, scientifiques, politiques, associations de consommateurs, citoyens. Des particules résistantes, de petites tailles, aux effets potentiellement nocifs, peuvent-elles être émises par des matériaux composites, des revêtements de type peinture ou enduits, ou encore par équipements électroniques utilisant les nanotechnologies ? Si oui, à quel stage : fabrication, utilisation, destruction, recyclage ? Quels sont les moyens d’empêcher cette diffusion, de la détecter, voire de la soigner ?

Toutes ces questions sont légitimes et importantes. Cependant, si elles doivent être soulevées par l’ensemble de la société, ce sont les scientifiques qui doivent y répondre. Je ne crois pas au citoyen-expert qui affiche son ignorance péremptoire, ou au groupe de pression obscurantiste. Je pense que les scientifiques doivent répondre aux questions de leurs concitoyens : c’est aussi leur rôle. On pourrait envisager par exemple que le gouvernement, ou le parlement via une mission d’information, finance un ou plusieurs laboratoires pour cette évaluation des risques. Cela suppose, néanmoins, un niveau de dialogue qui n’existe pas à l’heure actuelle. Je ne jetterai pas la pierre aux scientifiques qui me semblent prêts à expliquer leurs travaux quand l’occasion leur en est donnée. Cependant, peut-être manquent-ils de pédagogie. Je donnerais pour exemple cet article qu’un chercheur, Gérald Dujardin, a cherché à publier dans Le Monde et a finalement mis en ligne sur le blog Transnets. Il y souligne le problème de la déformation médiatique, qui fait craindre que le dialogue soit difficile à instaurer. Comment faire passer le message que les premières études sur la toxicité des fullérènes et des nanotubes de carbone est faible, à des citoyens ayant vu leurs craintes de l’amiante cancérigènes amplifiées de façon répétée par les médias ? Le problème de cet article est cependant de mélanger les craintes qui relèvent du fantasme, et celles qui sont plus légitimes.

Le rouage manquant dans ma proposition précédente n’est pas non plus l’intérêt et la mobilisation civile. Il n’y a aucun doute que les associations de consommateurs ou de protection de l’environnement seront promptes à lever des questions et des doutes, voire à conduire des contre-enquêtes solidement étayées. Il manque donc l’intermédiaire nécessaire qui est l’échelon politique, et qui est trop souvent remplacés par les médias. Je n’ai pas de recette miracle à proposer, mais je pense donc qu’un débat ouvert peut s’engager, si un intermédiaire entre les citoyens et les scientifiques était trouvé. J’ai parlé d’une possible mission d’information parlementaire qui financerait des recherches sur la toxicité. Une autre idée serait qu’un organisme comme le CNRS pourrait organiser des conférences ouvertes librement au public.

Vous avez peut-être d’autres exemples, d’autres problèmes, d’autres idées. Quelle est votre perception des nanotechnologies ?


[1] L’article Wikipédia sur le sujet est extrêmement intéressant et instructif.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Mais ce que vous nous proposez, c'est un pas de plus dans la technocratie, n'est-ce pas ? Si une population refuse d'aller dans une direction, quelle qu'en soit la raison (crainte "injustifiée" ou autre), pourquoi ne pas respecter ce choix ? Au nom de quoi la raison scientifique serait toujours la meilleure ?

Matthieu a dit…

J'ai peut-être fait l'erreur de ne pas parler des gains énormes en terme de nouveaux matériaux, de nouvelles technologies. Je trouvais que ca n'avait pas sa place dans ce billet, car je pense que la reflexion sur les problèmes de santé publique ne doit pas être influencée par les gains attendus, on en a trop souvent fait l'expérience dans le passé. Je ferai un autre billet.

C'est quand même révélateur de se faire accuser de technocratie, quand on veut replacer les arguments scientifiques dans les mains des scientifiques, et pas dans les paroles de PPDA ou JP Pernault. Que les citoyens, via leurs représentants, interdisent telle ou telle pratique car problématique pour la santé publique, oui. Mais pas à cause d'un vague sentiment diffus que la technologie c'est mal et qu'on y comprend rien. Ce n'est pas la "raison scientifique" contre la "raison du peuple", c'est la raison "tout court" contre l'absence de raison.

Anonyme a dit…

Technocratie : Système (politique, social, économique) dans lequel les avis des conseillers techniques (dirigeants, professionnels de l'administration) déterminent les décisions en privilégiant les données techniques par rapport aux facteurs humains et sociaux.

Vous avez eu raison de ne pas parler des gains escomptés des nanotechnologies, les médias nous arrosent déjà bien assez avec, se faisant les relais des organes de presse des laboratoires.

Mais quand les promoteurs des nanotechnologies pointent l'irréalisme de phénomènes négatifs que leurs détracteur leur attribuent comme la boue grise, ils en oublient de préciser l'irréalité des nombreux bénéfices qu'ils promettent de nous vendre. Après tout, on continue à nous vendre l'automobile comme un outil de mobilité et d'indépendance, alors que globalement elle a plutôt eu l'effet inverse.

Je suis cependant d'accord avec vous à propos l'influence néfaste des médias. En revanche pour moi il n'y a pas d'"absence de raison". Ce serait nier la capacité de l'autre à raisonner, à resentir, ou tout simplement à avoir des principes. Ou à débusquer toute la teneur politique d'un projet présenté comme purement scientifique.

Matthieu a dit…

Je suis d'accord avec votre définition de la technocratie. Je suppose que vous etes donc satisfait de la situation actuelle, ou les élus, loin d'écouter les experts techniques, preferent écouter l'opinion publique.

Relisez-moi : j'ai pris soin d'éviter l'ecueil de la technocratie, en soulignant que si les scientifiques doivent livrer leur expertise, c'est aux citoyens et à leurs representants élus de décider des directions à prendre ou ne pas prendre. Ce que je conteste, c'est que les avis non-étayés par des études, supportés par des peurs fantasmées alimentées par les médias, soient le moteur de la décision. C'est là que se situe l'absence de raison. Quant aux opppositions argumentées, je les qualifie de légitimes et d'importantes dans mon texte, je ne sais pas ce qu'il faut de plus.

Je constate ensuite que vous approuvez le fait que les gains des nanotechnologies ne soient pas pertinente dans le débat, et qu'au paragraphe suivant vous utilisez comme argument que ces memes gains ne soient pas certains. J'y vois de l'incohérence voire de la mauvaise foi.

De plus, ces gains sont bien réels, et sont la justification de la poursuite de ces recherches, en plus de l'interet théorique.

Anonyme a dit…

Non je ne suis pas satisfait de la situation actuelle. À part sur certains points polémiques qui restent anecdotiques, les politiques s'en remettent aux experts. Un exemple parmi tant d'autres : dans ma ville, il y a en ce moment un plan de rénovation de l'urbanisme et des transports. Le maire a décidé d'impliquer les habitants dans les décisions, parlant de "démocratie participative". Mais cette participation n'existe que dans sa bouche. Les orientations et les grandes lignes des plans d'aménagement sont conçues par des experts. Concrètement les habitants n'ont le pouvoir que de discuter d'aménagements mineurs, par exemple la modification du trajet d'une ligne de bus.

On retrouve ce principe avec les nanotechnologies, au détail près de la plus forte médiatisation du sujet.

D'autre part je ne dis pas que les gains apportés par les nanotechno ne sont pas pertinents pour le débat. Je dis qu'on les connaît déjà. Si je compare à mon exemple de l'automobile, je dirais qu'ils sont dans le même esprit. Techniquement il y a des choses qui se font, des expériences qui se déroulent avec succès, mais les nano envisagés comme réponse à des problèmes d'ordre plus général me paraît plus que douteux. Ce serait comme de prétendre que la généralisation de l'électroménager va rendre la société moins machiste.