Penseur

mercredi, septembre 20, 2006

La France et le Darfour

Versac a écrit aujourd’hui (enfin, hier, avec le décalage horaire) ce billet sur le Darfour, et plus exactement sur la position française vis-à-vis des massacres qui s’y produisent. Il y accuse Jacques Chirac, Renaud Muselier, et la diplomatie française en général de minimiser les crimes du Darfour. Il leur reproche d’avoir choisi la voie de la négociation lente, et du soutien de la mission d’observation de l’Union Africaine (UA), plutôt qu’une intervention musclée (imposition de la paix, en langage onusien). Il ajoute que cette stratégie n’a fait que donner du temps aux milices pour continuer leurs crimes, et qu’au final il est maintenant nécessaire de recourir aux Casques Bleus, sous le chapitre VII qui autorise l’usage de la force.

Je ne suis pas d’accord avec cette position. J’ai commencé à formuler quelques idées en commentaires chez lui, que je voudrais développer un peu plus ici.

Que peut-on dire de l’action de la France dans ce drame ? Dès le début, elle s’est impliquée dans la résolution de ce conflit, en soutenant toutes les tentatives de médiations du président tchadien Déby. Les accords de N’Djamena, en avril 2004, représentaient un espoir de retour à la paix. Il faut ici souligner deux choses :

- que le Soudan n’est ni dans la sphère d’influence, ni dans la sphère d’intérêt, de la France, et qu’elle ne s’est autant impliquée que pour éviter la perspective d’une déstabilisation du Tchad, que l’avenir vu se réaliser,

- que ces efforts de négociations ont été sévèrement sapés par les Etats-Unis, suivis par la Grande-Bretagne. Les Etats-Unis ont une hostilité affichée pour Khartoum, un état islamiste accusé de soutenir le terrorisme. En bref, le Tchad et la France étaient bien seuls, et ont fait ce qu’ils ont pu.

A cela, Versac répond que ce n’est pas parce que les autres diplomaties ont été mauvaises, que l’on ne peut pas critiquer les erreurs de la diplomatie française. Il ajoute que si la France avait pris ses responsabilités devant les massacres plutôt que de les minimiser par des discours apaisants, et avait poussé à une intervention musclée dès le début, une force internationale aurait pu s’interposer.

Je pense pour ma part qu’il est trop facile de refaire l’Histoire, surtout sans rappeler le contexte.

Est-ce qu’un langage musclé et des menaces auraient eu plus d’effet ? Souvenons-nous qu’à cette époque la France était à la limite de ses capacités opérationnelles en assurant la paix en Côte d’Ivoire. Les Etats-Unis avaient pour leur part d’autres marrons sur le feu. Une intervention directe était moins que probable, et des menaces non crédibles ne sont pas le meilleur outil de négociation.

Ensuite, s’interposer au Soudan n’est pas comme s’interposer en Côte d’Ivoire : ici une ligne de front bien définie, presque linéaire, là une ligne qui passe entre les villages, avec des enclaves de certaines ethnies au milieu d’autres populations. Voir par exemple cette carte, celle-ci, ou celle-là, pour une idée du problème.

Enfin, les efforts de négociations auraient pu payer. La reprise des combats est due en partie aux milices janjawids sur lesquelles le gouvernement soudanais a perdu le contrôle, et en partie aussi à certains mouvements rebelles certainement poussés en ce sens par les américains. Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : le gouvernement soudanais n’a certainement pas non plus poussé vers un retour à la paix. Mais toujours est-il que l’on pouvait espérer beaucoup de l’envoi de la force de l’UA, et qu’il ne servait à rien, à l’époque, de détruire cet espoir, par exemple pour Muselier en tenant des propos durs.

Maintenant, est-ce que la résolution 1706 envoyant une force de Casques Bleus au Darfour (sous Chapitre VII, heureusement) permettra de stopper les massacres ? Je crois que sa mission sera très difficile, car le Soudan en refuse fermement l’idée, et l’ONU n’est jamais si efficace que quand toutes les parties trouvent un intérêt à sa présence, comme au Liban. Pour cette raison, il sera difficile de trouver 17 000 hommes : les Bangladeshi, Ghanéens, Indiens, Pakistanais, et Nigerians, qui forment les principaux contingents des missions de maintien de la paix, n’ont peut-être pas l’envie ou les capacités de se lancer dans l’imposition de celle-ci par la force ! Et je doute que les nations les plus à même de le faire militairement, USA et France en tête, aient encore des forces à y consacrer. Je suis donc plutôt pessimiste sur ce point.

Il reste la citation de Chirac, qui parle de « crime contre l’humanité qui se prépare », alors que les massacres ont lieu en ce moment même. Je ne suis pas sûr qu’il soit pertinent de dire que Chirac ignore les crimes du Soudan, puisque son action depuis le début les prend en compte : par exemple, éviter que la situation explosive dans les camps de réfugiés ne s’aggrave et ne déstabilise le Soudan. Je pense qu’il s’agit d’une parole diplomatique, pour ne pas s’opposer de front au Soudan, dans l’optique d’obtenir une coopération minimale avec l’ONU.

Bien sûr, la diplomatie n’est pas vraiment compatible avec l’indignation morale que nous aimerions imposer. Mais il faut se souvenir que depuis nos ordinateurs, nous ne savons pas quelles sont les contraintes pesant sur les négociations, et que le rétablissement de la paix vaut sûrement bien une entorse à la vérité. Versac refuse que la prudence diplomatique ne se transforme en lâcheté munichoise, mais je pense que dans ce cas c’est un mauvais procès.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

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www.sauverledarfour.org