Penseur

jeudi, novembre 09, 2006

Dawkins : Le gène égoïste. (1) : Sélection par le groupe, sélection individuelle.


Après quelques semaines d’attente, j’ai enfin été livré : je viens de recevoir le fondamental livre de Richard Dawkins, le gène égoïste. J’en avais déjà lu des extraits, aussi je savais un peu à quoi m’attendre. Il n’empêche : les idées révolutionnaires de Dawkins sont présentées de façon très claire, à la fois argumentée et lisible, et je n’en ai pas décroché depuis trois jours.

J’ai pensé vous en faire partager quelques morceaux, histoire de vous inciter à chercher ce livre dans votre bibliothèque habituelle, et pour, je l’espère, engager la discussion autour de la thèse du livre, résumée sur la quatrième de couverture : nous sommes des robots programmés à l’aveugle pour préserver des molécules égoïstes connues sous le nom de gènes.

Le philosophe Daniel Dennett, dont le livre Darwin est-il dangereux pourrait constituer une lecture intéressante à qui s’intéresserait à Dawkins, qualifie la théorie de l’Evolution de Darwin d’acide universel. C’est une théorie qui ronge toutes les idées préconçues et dogmatique, pour mettre à nue une nouvelle façon de comprendre non seulement la diversité des espèces, mais aussi des concepts aussi délicats que la conscience ou l’apparition de la vie. C’est cette nouvelle façon de nous comprendre nous-même que propose l’auteur du Gène égoïste.

Le propos du livre est de reprendre la théorie de Darwin, et de l’enrichir d’un outil qu’il n’avait pas, la génétique. Dawkins révolutionne le darwinisme en se plaçant du point de vue du gène : l’unité de sélection naturelle n’est pas l’individu, mais la molécule.

Dawkins accroche l’attention dès le premier chapitre.

Si des créatures supérieures de l’espace viennent un jour visiter la Terre, la première question qu’elles se poseront pour évaluer le niveau de notre civilisation est la suivante : « Ont-ils déjà découvert l’évolution ? ». Les organismes vivants ont existé sur Terre, sans jamais savoir pourquoi, depuis plus de trois milliards d’années avant que la vérité ne saute finalement à l’esprit de l’un d’entre eux. Il s’appelait Charles Darwin.

Après avoir défini les termes d’égoïstes et d’altruistes, qui seront les éléments-clé de son développement et qui sont les axes d’attaques préférés de ceux qui attaquent Dawkins sans l’avoir lu, il règle son sort à une première idée fausse. Il explique que la théorie de Darwin a parfois été mal interprétée, y compris par ceux qui pensaient la défendre. L’idée fausse en question est que la sélection naturelle agirait de façon à assurer la pérennité de l’espèce, ou que les individus seraient conduits à agir pour le bien du groupe. La sélection par le groupe consiste à dire que

Un groupe, tel qu’une espèce ou une population au sein de cette espèce, dont les individus sont prêts à se sacrifier pour le bien du groupe a moins de risques de disparaître qu’un groupe concurrent dont les membres placent au premier plan leur intérêt individuel. Par conséquent, voilà pourquoi le monde devient essentiellement peuplé de groupes dont les membres sont prêts à faire le sacrifice de leur vie.

Elle s’est répandue facilement car elle se trouve en harmonie avec les idéaux moraux et politiques que partagent la plupart d’entre nous. La réponse que fait Dawkins est la suivante :

S’il existe un seul rebelle égoïste prêt à exploiter l’altruisme du reste du groupe, alors, par définition, ce sera lui qui aura le plus de chances de survie et d’avoir des enfants. Chacun de ses enfants aura tendance à hériter de cet égoïsme. Après plusieurs générations de cette sélection naturelle, le « groupe altruiste » sera dépassé par le nombre d’individus égoïstes et ne pourra plus se démarquer du groupe égoïste.

Ainsi, même s’il peut être tentant de voir la sélection naturelle comme un processus qui favorise ce qui est bon pour l’espèce, il s’agit en réalité de favoriser ce qui est bon pour l’individu. Rapidement, le glissement ira encore plus loin : Dawkins va montrer qu’il s’agit de favoriser ce qui est bon pour le gène. Point.

Assez choquant, déjà, non ?

2 commentaires:

Tom Roud a dit…

Salut,
l'idée est choquante et peut-être vraie. Mais (juste à titre de complément), il y a quand même pas mal de travaux sur la notion de "group selection", qui montre comment l'altruisme pourrait évoluer - et je pense que le débat continue encore aujourd'hui. En gros l'idée simple est qu'une société d'égoïstes croît moins vite qu'une société d'altruistes; se posent alors des problèmes types dilemmes du prisonnier, car les égoïstes ont intérêt à s'infiltrer chez les altruistes, mais on peut penser aussi que peuvent évoluer des mécanismes d'exclusion des tricheurs.

Un commentaire/question : dans la théorie du gène égoïste, on voit le gène comme un individu, libre, sans contrainte; or la plupart des gènes sont au contraire "enfermés" dans un réseau génétique complexe et serré, et sont très dépendants de leurs interactions "sociales" avec les autres gènes, non ? Il me semble que c'est alors assez difficile de dissocier les gènes les uns des autres, et donc de l'individu. Par exemple, je ne vois pas très bien comment on peut expliquer avec cette théorie la coévolution de certains gènes, ou les mécanismes de symbiose (qui sont justement une forme d'altruisme quand on y pense) sans revenir à la notion d'individu.

Matthieu a dit…

Votre commentaire est très intéressant, mais je ne peux malheureusement pas y répondre tout de go, car je lis le livre petit à petit.

Je tiens quand même à préciser que le livre est assez vieux (1976), et qu'il est maintenant un peu plus orthodoxe et mainstream. Des corrections sont à apporter, en particulier avec certains travaux sur la possibilité d'acquérir des caractères (influence de l'environnement sur les gènes, et transmission), possibilité absolument niée dans le livre.

J'essaie de répondre à vos questions. Votre premiere remarque est, je crois, bien analysée dans le livre, sous le terme de "stratégie évolutionnairement stable". Le gain moyen de chaque individu dans une société pure-altruiste est bien plus grande que dans une pure-égoïste, et cependant le gain marginal d'un individu égoiste dans une société altruiste est encore plus grand. Au final, il y a des positions d'équilibre : en fonction du gain attribué à chaque comportement, on peut se retrouver avec par exemple une situation stable à 80% d'altruistes et 20% d'égoïstes. Des comportements plus subtils (le vengeur qui se comporte en altruiste, mais qui réplique face à une manifestation d'égoisme, ou la brute, qui fais l'inverse), ont été testé, et conduisent à d'autres situations. J'y reviendrais dans un prochain billet.

pour les complexes de gènes : là aussi, la question est traitée de la façon suivante : les gènes peuvent être groupés physiquement sur un chromosome, et avoir une certaine probabilité de se comporter comme un seul gros gène. Ils peuvent aussi, de façon plus générale, etre selectionnés de façon individuelle, mais dans un contexte bien précis. Le gène des super-canines sera très favorable dans un environnement carnivore, mais inutile dans un environnement génétique d'herbivore. La dissociation se fait dans la sélection (un gène face à ses allèles), en fonction de l'efficacité dans le génome complet.

quant à la symbiose : j'y vois plus une compatibilité d'égoïsmes que de l'altruisme ! chacun y trouve son compte, personne ne se sacrifie.