Je vous préviens tout de suite que je ne vais pas répondre à la question posée. J'ai toujours eu du mal à comprendre ou était la frontière de l'acceptable en matière d'interaction science-performance sportive. Certaines pratiques nutritionelles sont acceptées (des pâtes la veille de la compétition), d'autres non (des produits riches en vitamine C juste avant de concourir). Certaines techniques médicales sont acceptées, d'autres non. La limite est loin d'être aussi simple que "ce qui met en danger la vie des sportifs". Non, c'est plus subtil, c'est une combinaison de ce qui se fait traditionellement, ce qui est trop nouveau pour ne pas être répandu chez tous les coureurs, ce qui apparaît choquant aux yeux du spectateur... En terme de technique, c'est la même chose. Des baskets ultra-perfectionnées, c'est ok.
Des jambes à ressort, non. Pourquoi ? Je ne sais pas, les autorités sportives ont peut-être eu peur que les athlètes se coupent les jambes pour aller plus vite.
Bon, revenons à notre combinaison. Quel est l'effet de la combinaison LZR ? Un premier effet est de gainer le corps du nageur dans une position optimale, donnant à peu de frais aux nageurs la posture que les meilleurs techniciens mettent des années à affiner, et permettant à ces derniers de la maintenir plus longtemps. Un deuxième effet et d'améliorer très légèrement la flottabilité du nageur, ce qui semble-t-il pourrait être un critère d'
interdiction, si la fédération internationale avait les moyens de le mesurer, ce qui n'est
apparement pas le cas.
Le troisième et dernier effet va enfin nous permettre de parler de science. La combinaison LZR permet de reduire l'effet de la viscosité de l'eau, permettant au nageur de faire face à moins de frottements. Voilà qui m'autorise à une petite digression sur le sujet.
Un nageur qui se déplace dans l'eau affronte plusieurs forces, principalement la viscosité et l'inertie de l'eau. La viscosité se définit comme le quotient entre les efforts fournis pour déformer une unité de volume de liquide et le taux de déformation dudit élément. Une autre façon de l'exprimer est le rapport entre l'effort nécessaire pour établir une différence de vitesse sur une certaine distance, et ce gradient de vitesse. Dans le cas de l'eau, c'est une valeur extrêmement faible, 1 mPa.s, plusieurs ordres de grandeur plus petite que n'importe quel
autre fluide usuel.
L'inertie, elle, vient de la difficulté à mettre en mouvement un élément de fluide à cause de sa masse. Elle dépend de la masse volumique du liquide, 1000 kg/m
3, et surtout de la vitesse que l'on veut lui imprimer (100m en 47,5s, soit 2,1 m/s).
Une des premières choses à faire devant un problème de mécanique des fluides est de déterminer laquelle de ces forces est prépondérante. Pour cela, on calcule un ordre de grandeur de chaque effet (on les évalue "à la louche", pour ainsi dire), et l'on fait le quotient des deux. Cela donne un nombre sans dimension (une force divisée par une force donne un résultat sans unité) appelé le nombre de Reynolds, Re.
Re = effets inertiels / effets visqueux = masse volumique du fluide * vitesse caractéristique du problème * dimension caractéristique / viscosité du fluide
Il mélange donc ordres de grandeur expérimentaux et propriétés du fluide. Si l'on considère que la dimension caractéristique du problème est la taille du M. Alain Bernard, un joli bébé de 2m, cela donne :
Re = 1000 * 0,21 * 2 / 0.001 = 40 000
L'inertie est donc largement prépondérante face à la viscosité. Alors, pourquoi s'embête-t-on avec cette dernière ? Le calcul précédent est un approximation, et au contact de la peau ou de la combinaison du nageur, l'eau "accroche" - on dit qu'il y a une condition de non-glissement. En terme de mécanique des fluides, cela se traduit par une "couche limite" où la viscosité domine, très fine.
C'est sur la stabilité de cette couche limite que beaucoup d'ingénieurs en aéronautique travaillent, pour limiter la consommation en carburant des avions de ligne, et pour améliorer la manoeuvrabilité des avions militaires. En effet, elle est primordiale pour établir la portance et réduire la traînée des avions.
Tout est bon pour cela, du revêtement texturé en peau de requin aux winglets en bout d'aile. Les bateaux et sous-marins, eux, utilisent une technique inspirée du mucus des dauphins, avec des polymères injectés dans le flux de l'eau pour le stabilisé.
Fin de la digression. Dans le cas d'Alain Bernard et de la combinaison LZR, la technique choisie est différente. La combinaison, tout d'abord, sert au corps, ce qui réduit l'imbibation d'eau, et optimise la forme du corps. Elle est aussi couverte, à certains endroits, de matériau hydrophobe (qui repousse l'eau), ce qui annule la condition de non-glissement dont je parlais plus haut. L'eau glisse sur le materiau, ce qui réduit le gradient de vitesse, et donc les efforts visqueux. Les coutures ont été supprimées, au profit d'un assemblage par ultra-sons (une soudure, pourrait-on dire), ce qui réduit les endroits ou l'eau pourrait accrocher. Au total, Speedo prétend réduire la traînée de 10% par rapport à leur combinaison précédente.
D'après le blog
The Science of Sports, ce dernier effet serait négligeable par rapport aux autres effets, l'amélioration de la posture et de la forme du corps étant les plus importants. Mais qu'importe, n'est ce pas, si cela nous a donné l'occasion de discuter un peu, non ?